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Burkini, une affaire à risques

L’ÉDITO

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C’est le débat du moment. Et pas seulement dans les frontières hexagonales. Faut-il ou non interdire le burkini en France, comme l’ont décidé, pour une période donnée, une vingtaine de communes ?
C’est donc sous la forme de cette tenue de bain hypercouvrante que revient en force le débat sur la place de l’islam et des musulmans en France. Avec tous ses appendices, du respect du principe de laïcité à la condition de la femme, en passant par la définition de l’identité nationale et le vivre-ensemble.
Ce débat a souvent été passionnel, et l’est d’autant plus aujourd’hui qu’il s’inscrit dans un contexte particulier, la France étant depuis des mois la cible d’attaques sanglantes de la part du groupe État islamique, qui se revendique de l’islamisme le plus radical.
Ce contexte entraîne des déclarations pour le moins à l’emporte-pièce. À l’instar de celles d’un responsable de la municipalité de Cannes estimant que le burkini est une « tenue ostentatoire qui fait référence à une allégeance à des mouvements terroristes qui font la guerre » à la France. L’on a du mal à imaginer l’EI autorisant les femmes à se baigner en burkini dans le Tigre…
Parmi les autres arguments invoqués pour interdire cette tenue de bain, l’on trouve le principe de laïcité et les atteintes à l’ordre public. Un motif retenu hier par le tribunal administratif de Nice pour valider l’interdiction du burkini.
Ces arguments suscitent l’incompréhension dans de nombreux pays du monde, notamment anglo-saxons. Les éditorialistes britanniques, par exemple, n’y sont pas allés de main morte pour commenter l’interdiction du burkini.
Le fait que la France et la Grande-Bretagne suivent deux modèles radicalement différents en matière d’intégration des populations issues de l’immigration n’est pas étranger à cette incompréhension.
D’un côté, le modèle anglo-saxon, multiculturel, dans lequel l’intégration passe par la reconnaissance des appartenances communautaires. De l’autre, le modèle français, républicain, fondé sur la nationalité-citoyenneté et l’adhésion individuelle à un contrat social, et dans lequel sont dissociées les sphères publique et privée.
Ces deux modèles ont néanmoins un point commun : ils ont montré leurs limites depuis des années déjà. En France, l’égalité républicaine s’est trop souvent échouée sur une réalité faite de discriminations. Ce qui pourrait expliquer, peut-être, qu’une forme d’érosion des particularismes culturels via l’école républicaine n’ait pas fonctionné comme certains auraient pu l’espérer. Car aujourd’hui, ce sont fort probablement des membres de la deuxième ou troisième génération d’immigrés qui portent le burkini.
Un contexte de crise économique, d’érosion des frontières entre l’interne et l’international, d’attentats revendiqués par l’EI, voire de précampagne présidentielle sur fond de montée des extrêmes ne favorise pas, en outre, un débat serein sur le sujet.
Aujourd’hui, l’affaire du burkini est donc une énième manifestation d’un même débat, essentiel, de société.
Mais la forme que prend cette affaire pose question.
Certes, le burkini peut heurter les sensibilités à maints égards, mais son interdiction ne risque-t-elle pas d’avoir l’effet contraire à celui recherché ? Au lieu de renforcer l’individu-citoyen, ce pilier du modèle français, ne favorise-t-on pas un effet de communautarisation ? Une contradiction qui pourrait d’ailleurs être un écho de ces appels lancés, après chaque attentat, aux musulmans de France à se désolidariser en tant que communauté, quand on rejette tout comportement communautaire. Et ce tiraillement entre deux logiques ne risque-t-il pas, à terme, d’alimenter le repli et la frustration dont se nourrissent les groupes les plus radicaux ?