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Dans le Chouf, le « grignotage démographique » chiite inquiète chrétiens et druzes

 

Fady NOUN |  

Le Conseil des ministres a décidé hier, à la majorité de ses membres, d’accorder à la municipalité de Debbiyé, village chrétien du Chouf, et à sa demande, un délai pour s’entendre avec le propriétaire chiite d’un large terrain sur la destination finale de ce bien-fonds, dont il réclame l’amendement du coefficient d’exploitation. La municipalité avait initialement demandé un délai de six mois pour se prononcer. Elle en a obtenu un seul.
Derrière ce délai, a affirmé à l’issue de la réunion le ministre du Travail, Sejean Azzi, il y a en réalité un projet foncier jugé indésirable par une partie de la population de Debbiyé et du Chouf environnant.
Selon le ministre, un homme d’affaires maronite avait acheté le bien-fonds, avec l’intention initiale « d’en préserver le cachet ». Toutefois, a enchaîné en substance M. Azzi, séduit par l’énorme bénéfice dont il pouvait en tirer, cet homme a changé d’avis et a vendu le terrain « au détriment du cachet chrétien » de la région.
« Réclamer l’amendement du coefficient d’exploitation est certes un droit du propriétaire, a commenté M. Azzi, mais le projet a réveillé des sensibilités dans la région, ce qui a poussé la municipalité de Debbiyé à demander un délai de six mois pour donner son avis sur ce sujet. En conséquence, la municipalité et le propriétaire du bien-fonds ont été invités à se réunir pour s’entendre sur tous les tenants et aboutissants du projet et, à toutes fins utiles, j’ai proposé que le projet soit ajourné quelque temps. »

Un « paravent » du Hezbollah
On apprend en fait, de source proche du dossier, que seuls les ministres du Hezbollah, Hussein Hajj Hassan et Mohammad Fneich, ainsi que Ghazi Zeaïter (Amal), ont voté pour que la demande du propriétaire du bien-fonds soit approuvée sur-le-champ, face à un Conseil des ministres qui s’est rendu aux arguments de M. Azzi et de Gebran Bassil, qui reflétaient les appréhensions confessionnelles locales.
Le propriétaire du bien-fonds serait le richissime homme d’affaires Ali Tajeddine, que certains considèrent comme étant un « paravent » établi du Hezbollah. M. Tajeddine demande que le coefficient d’exploitation du bien-fonds passe de celui d’une zone industrielle à celui d’une zone résidentielle, ajoutent ces mêmes sources.
Selon la source précitée, le bien-fonds avait été acheté par le bijoutier Robert Moawad à ses anciens propriétaires pour la valeur de 58 millions de dollars vers la fin des années 90. Ce dernier avait assuré au patriarche maronite qu’il « préserverait le cachet chrétien du sol ». Il s’était dédit quelques mois plus tard, en vendant le terrain pour la coquette somme de 246 millions de dollars.
Le marché a cependant réveillé les sensibilités confessionnelles des chrétiens et des druzes du Chouf, qui redoutent à la fois d’être « envahis » et de voir s’établir une « continuité démographique chiite » à coloration politique particulière entre la banlieue sud et Naqoura. Ce « grignotage » démographique soulève les appréhensions de communautés qui se prêtent mutuellement des « arrière-pensées », en l’absence d’un contrat social clair et d’un État fort.
On s’inquiète d’autant plus dans les milieux concernés qu’au-dessus du bien-fonds en question, l’Université arabe financée par des fonds égyptiens a acheté, il y a une quinzaine d’années, un terrain de 1,2 million de mètres carrés sur lequel s’élève un campus qui compte parmi ses bâtiments… une mosquée. Le campus de l’Université arabe avait, lui aussi, été cédé à l’UA par trois copropriétaires terriens chrétiens.