IMLebanon

De grâce, monsieur Fillon…

 

Un double non-sens… C’est le seul qualificatif que l’on pourrait attribuer à la position proclamée de François Fillon concernant la Syrie. Le candidat de la droite française à la présidentielle de 2017 prône en effet une coopération avec le régime de Bachar el-Assad pour lutter contre l’État islamique. Il souligne, en outre, la nécessité de s’accommoder du maintien du pouvoir en place à Damas dans le but de défendre les chrétiens d’Orient.
Dans l’un et l’autre cas, M. Fillon fait manifestement fausse route et montre soit qu’il cherche à tromper son opinion publique, soit qu’il ignore totalement certaines réalités propres à la région.
Prétendre qu’une attitude complaisante à l’égard du tyran syrien permettrait de mener à bien le combat contre Daech revient à occulter des faits bien établis, relevés à maintes reprises par plus d’un haut responsable occidental. Certes, il est plausible que le candidat de la droite française ne soit pas très coutumier de la politique de pyromane-pompier pratiquée pendant des décennies, et jusqu’à présent, par le régime Assad, père et fils. Mais est-il possible que M. Fillon ne sache pas qu’au printemps 2011, quelques semaines après le déclenchement du soulèvement populaire, Bachar el-Assad a libéré de ses geôles plus d’un millier de cadres et de ténors jihadistes qui se sont empressés de s’organiser et de recruter des combattants pour prendre part au conflit armé dans les villes syriennes ? La manœuvre était diabolique : favoriser l’émergence d’une opposition radicale susceptible de laminer et de discréditer la rébellion modérée de manière, par la suite, à se poser en rempart face à ces mêmes courants extrémistes dont il avait facilité la mise en place.

Il est déplorable que des personnalités telles que Donald Trump et François Fillon se laissent prendre à ce jeu ou feignent de ne pas le percevoir. Pourtant, des dirigeants occidentaux n’ont pas manqué de dévoiler ouvertement cette cynique supercherie. En novembre 2015, le secrétaire d’État John Kerry soulignait ainsi sans détours qu’« Isis (l’État islamique) a été créé par Assad » en libérant, notamment, des prisonniers d’el-Qaëda. Nous avions rapporté dans ces mêmes colonnes la teneur de trois tweets postés le 1er juin 2015 (en dehors du territoire syrien) par l’ambassade US à Damas, indiquant que le régime non seulement évitait dans les combats les positions militaires de Daech, mais s’employait à les renforcer et menait même des raids pour appuyer l’avancée des jihadistes de l’EI à Alep. Au début du soulèvement, l’ambassadeur de France en Syrie devait faire la même constatation en relevant que l’aviation de Bachar el-Assad survolait les positions jihadistes sans les inquiéter outre mesure pour aller bombarder les combattants de l’opposition modérée. L’ancien chef du Quai d’Orsay, Laurent Fabius, soulignait dans ce cadre le 20 août 2014 que l’EI « est protégé d’une certaine manière par le régime Assad qui a libéré ses dirigeants de ses prisons ».
La liste de témoignages et de faits sur le terrain qui confirment les constations de MM. Kerry et Fabius et des ambassades américaine et française à Damas est longue, très longue… François Fillon pourrait facilement s’en informer afin de déterminer si réellement le président syrien serait un allié fiable et crédible pour combattre l’EI.
La seconde aberration dans la position du candidat de la droite française concernant la Syrie est la volonté de collaborer avec Bachar el-Assad pour défendre les chrétiens d’Orient ! M. Fillon ignore-t-il que durant les 30 ans d’occupation syrienne du Liban, le régime Assad (père et fils) n’a épargné aucun effort, aucun moyen pour affaiblir et marginaliser le pouvoir chrétien au pays du Cèdre et qu’à cette fin : il a fait assassiner deux présidents (maronites) et a tenté de liquider d’autres leaders chrétiens ; il a pilonné à l’artillerie lourde des localités et des quartiers chrétiens opposés au diktat de Damas ; il a lâché au début de la guerre libanaise une milice qui lui était inféodée contre des villages chrétiens du Akkar et de la Békaa pour y perpétrer des massacres et lui permettre de se poser par la suite en « sauveur » de la population de ces mêmes villages (encore la fameuse politique de pyromane-pompier…) ; il a contrait à l’exil Amine Gemayel, puis Michel Aoun (après avoir liquidé, le 13 octobre 1990, des centaines d’officiers et de soldats, dans leur écrasante majorité chrétiens) ; il a mis sur pied dans les années 90 des groupuscules fondamentalistes sunnites pour intimider et juguler l’opposition chrétienne de l’époque à chaque fois qu’elle voulait manifester contre la tutelle syrienne ;
il a orchestré des procès politiques contre un autre leader chrétien, Samir Geagea, et l’a fait emprisonner parce qu’il refusait de rentrer dans le rang ;
il a exercé sans relâche de fortes pressions sur l’ex-patriarche maronite, le cardinal Nasrallah Sfeir, afin de l’amener, mais en vain, à avaliser l’anschluss syrien sur le Liban ; et last but not least, ce régime avec lequel M. Fillon souhaiterait coopérer pour défendre les chrétiens d’Orient a fomenté il n’y a pas si longtemps un diabolique complot terroriste, en manipulant un ancien ministre, afin d’assassiner le patriarche maronite et des dignitaires musulmans au Liban-Nord pour provoquer une nouvelle conflagration confessionnelle entre chrétiens et musulmans.
Là aussi, la liste est longue, très longue… Alors, de grâce, monsieur Fillon, si vous souhaitez réellement la défense des chrétiens d’Orient, ne cherchez pas à faire relâcher le loup sanguinaire dans notre bergerie.