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Derrière l’initiative de Aoun pointent les signes d’un nouveau blocage…

 

Sandra NOUJEIM

L’initiative récente du chef du bloc du Changement et de la Réforme, Michel Aoun, portant quatre issues à l’impasse institutionnelle, souffre de plusieurs contradictions. La nécessité d’amendements constitutionnels, qui avait été affirmée par le général Aoun pour « trois des quatre options proposées », a été reniée ensuite par les députés aounistes chargés de les expliquer aux parties politiques. À défaut d’être accueillis par un niet catégorique (indirect, comme l’abstention du président de la Chambre de les recevoir personnellement, ou direct, comme celui du président Amine Gemayel), les députés ont pu se livrer, au moins, à « des conversations franches » avec certains de leurs interlocuteurs, comme les Forces libanaises – dialogue bilatéral oblige – et, contre toute attente, le courant du Futur, hier.
D’une manière générale, les échanges sur l’initiative de Michel Aoun se concentrent sur une seule des quatre options, celle d’un référendum visant à trier éventuellement les candidatures à l’élection présidentielle. Cette option pourrait légitimer l’idée véhiculée par le courant aouniste de tenir une séance électorale à condition d’avoir limité au préalable la course présidentielle aux candidatures de Samir Geagea et de Michel Aoun. Elle est passible, surtout, d’être mise en œuvre indépendamment de tout amendement constitutionnel, selon la logique du CPL, qui n’exclut pas à cette fin d’adopter la méthode des sondages ou des statistiques. Dans un entretien à L’OLJ, le député Ibrahim Kanaan a poussé jusqu’au bout l’argument selon lequel l’amendement constitutionnel n’est pas exigé : si cette initiative devait être adoptée, elle le serait sans passer par les textes et serait donc assimilable à « une simulation de ce qui devrait être ». Le référendum serait, partant, « une simulation de la présidentielle, devant servir de forcing à l’application adéquate de la Constitution »…
C’est cet angle que les députés Alain Aoun, Nagi Gharios, Hikmat Dib et Walid Khoury ont détaillé hier avec le chef du bloc du Futur, Fouad Siniora, à son bureau, rue Bliss, en présence de plusieurs députés haririens. Résultat : le Futur a réitéré son refus de l’option visant à limiter au préalable la course à la présidentielle à deux candidats, mais il a accueilli favorablement l’insistance de ses interlocuteurs sur le maintien de la Constitution telle quelle. « Nous nous entendons avec le courant du Futur sur l’application de Taëf. Personne ne demande l’amendement de la Constitution ni même le sabotage de Taëf », a ainsi déclaré le député Alain Aoun à l’issue de la réunion. Prenant la parole à son tour, le député Ahmad Fatfat a fait état de « points communs révélés par cette réunion longue et franche (de deux heures), à savoir l’attachement des deux parties à la mise en œuvre de Taëf ». Une source du Futur y a vu « un engagement formel du CPL » à garder le document d’entente. Un « engagement » qui pourrait être interprété comme une réponse spontanée à la question que Fouad Siniora aurait posée hier à ses interlocuteurs : « Pourquoi choisirions-nous d’élire le général Aoun alors qu’il ne nous a rien donné politiquement en contrepartie ? » a rapporté une source proche de la réunion.
Mais cette lecture est improbable. Ibrahim Kanaan a vite fait de minimiser la portée de ce soi-disant engagement. « Nous avons toujours défendu la Constitution, et nos critiques ont porté sur la mise en œuvre défaillante de la parité, manifeste dans la loi électorale et les nominations par exemple », a-t-il déclaré à L’OLJ, reprenant la teneur de la déclaration de Alain Aoun à Bliss. Et de lancer, laconique : « S’ils saluent notre appui à Taëf, c’est qu’ils ont finalement décidé de nous écouter… »
La tournée du CPL a également inclus hier une visite chez l’ancien Premier ministre Nagib Mikati, qui a été « réceptif pour ce qui est de la loi électorale », selon le CPL. Une délégation du CPL, emmenée par le député Émile Rahmé, s’est également réunie avec des parlementaires du Hezbollah, au siège du bloc à Haret Hreik. Le député Mohammad Raad a salué « l’initiative nationale du général Michel Aoun qui apporte des solutions concrètes et qui mérite d’être prise au sérieux ».
Rien n’est moins sûr… Entre les palabres courtois et les digressions politiques, l’initiative est moquée, en somme. Elle a néanmoins, nécessairement, une raison d’être.
Elle n’est pas à dissocier, en effet, des tensions nouvelles qui se manifestent depuis le début des batailles sporadiques dans le Qalamoun syrien. La scène du premier quart d’heure du Conseil des ministres hier en est ainsi révélatrice : à l’ouverture de la réunion, le ministre Élias Bou Saab a demandé de prendre la parole pour poser une question au vice-Premier ministre, Samir Mokbel, sur ce qui se passe réellement dans le jurd de Ersal. Bien qu’interrompu par le Premier ministre, qui a précisé que ce débat n’avait pas sa place dans une réunion réservée à l’examen du projet de budget, le ministre a été relayé par son collègue Gebran Bassil et par le ministre Hussein Hajj Hassan.
Prenant la décision de les laisser s’exprimer sans répartie, le Premier ministre a patiemment attendu qu’ils achèvent la série de questions successives sur la situation militaire aux frontières de la Békaa-Nord (les positions de l’armée, son intention ou pas d’entrer à Ersal, les mesures qu’elle a prises…). Le ministre Mokbel s’est contenté d’affirmer, pour sa part, qu’il ne détenait pas encore les informations nécessaires pour répondre à ces questions. Voyant ensuite que le 8 Mars était à cours de questions, le Premier ministre a décidé d’entamer le débat sur le budget, ce à quoi Gebran Bassil a répondu en réclamant l’insertion du débat sur Ersal à l’ordre du jour des prochaines séances. « La réponse de Tammam Salam était catégorique : c’est lui qui décide de l’ordre du jour. Et s’il juge nécessaire de soumettre le dossier de Ersal au débat, il le fera », a affirmé le ministre de la Justice, Achraf Rifi, à l’issue de la réunion.
Cet incident est révélateur de deux comportements complémentaires : d’une part, le forcing que Michel Aoun a promis d’exercer sur le cabinet en bloquant l’exécutif de l’intérieur ; d’autre part, la volonté, avouée par des sources du Hezbollah, d’obtenir l’appui, voire la coopération de l’armée aux frontières – comprendre « de mettre la main sur Ersal et son jurd en incitant l’armée à y intervenir militairement », selon le 14 Mars.
Ces deux comportements, enclins au blocage, auront trouvé leur nouvel instrument politique dans l’initiative récente de Michel Aoun