IMLebanon

Le plus loin possible du testament de Fouad Chéhab

La situation

Sandra NOUJEIM

Outre la rue, réapparue hier comme outil potentiel de pression politique, deux issues formelles pourraient achever le feuilleton de la loi électorale. La première serait une entente bon gré mal gré sur un nouveau code électoral, quitte à ce que celui-ci soit remodelé pour les scrutins ultérieurs. La seconde serait une prorogation technique le 15 mai prochain selon un scénario qui attend d’être précisé. Une source parlementaire fait état à L’Orient-Le Jour de deux scénarios possibles, en cas d’absence d’entente sur une nouvelle loi : envisager une prorogation au détriment des principales factions chrétiennes, ce qui ne sera pas sans provoquer « une escalade dans la rue », voire une crise institutionnelle ; sinon, aboutir progressivement à une entente générale sur la tenue des élections sur la base de la loi de 1960, avec quelques amendements.
La prise de position hier du Premier ministre Saad Hariri contre la prorogation, depuis la résidence du président de la Chambre, ouvre la voie à plusieurs interprétations. Ce serait d’abord un moyen pour lui de faire pression dans le sens de l’adoption d’une nouvelle loi électorale, estiment des milieux du courant du Futur. Ces sources ainsi que d’autres milieux centristes n’excluent pas l’hypothèse que ces pressions portent leur fruit. Ce serait, disent-ils, le projet basé sur la préqualification confessionnelle qui serait retenu in fine. Le courant du Futur serait en « parfaite symbiose avec le Courant patriotique libre », rapportent des milieux critiques du projet Bassil. De fait, M. Hariri aurait tenté de convaincre hier Nabih Berry d’y souscrire. Il arguerait du fait que ce projet pave la voie à l’élection des députés sur la base de la proportionnelle intégrale et la création en parallèle d’un sénat qui serait élu sur base confessionnelle. Une réforme que défend le président de la Chambre dans ses deux volets et que le courant du Futur avait lui aussi présentée en 2014 en réponse à la proposition de loi dite orthodoxe. Mais les chances que le projet Bassil serve de noyau à une réforme électorale restent pour l’instant minimes. Le refus que lui oppose le camp joumblattiste est intangible. « La position du député Walid Joumblatt est celle du partenariat et de la protection du pluralisme. Que celui qui souhaite le tester revoit son histoire », déclare le député Antoine Saad à L’Orient-Le Jour. En outre, l’ambiguïté de la position du duopole chiite à l’égard du projet Bassil ne joue pas en sa faveur : le Hezbollah ménage son allié chrétien sans grande conviction, tandis qu’Amal s’acharne contre son projet. Pour ceux qui ne doutent pas de l’unicité Amal-Hezbollah sur les questions stratégiques, cette ambiguïté est synonyme du refus non déclaré par le Hezbollah du projet Bassil. À moins que ce projet ne se meuve en proportionnelle intégrale, celle-ci étant clairement souhaitée par le tandem chiite, tolérée sous conditions par le PSP, acceptée aussi par le courant du Futur qui ne souhaite s’opposer à rien. Elle avait aussi été défendue dans un premier temps par Gebran Bassil.
En attendant que se précise cette perspective, l’appui zélé de Saad Hariri au camp aouniste lui sert à polir son image aux yeux de celui-ci, à transférer, du camp sunnite au camp chiite, toute responsabilité de l’échec des revendications chrétiennes. Cette tactique qui n’est plus un secret pour personne risque néanmoins de se faire au prix des valeurs de pluralisme du courant du Futur. Certains parmi ses sympathisants craignent en effet qu’il n’ait déjà concédé au tandem chrétien certains sièges qui avaient été jusque-là dévolus à des chrétiens gravitant dans l’orbite haririenne.
Il n’est pas sûr toutefois que cette tactique ait dicté hier la prise de position de Saad Hariri contre la prorogation du mandat parlementaire, en solidarité avec le chef de l’État : cette démarche a certes limité le risque d’une éventuelle escalade de la part des chrétiens (et l’instabilité qu’elle risque de générer), mais elle semble s’inscrire dans un cadre plus large et paver la voie à une entente générale sur le maintien de la loi de 1960. « Nous sommes tous contre la prorogation », a ainsi insisté Saad Hariri au sortir de Aïn el-Tiné : en mettant en scène les efforts menés pour aboutir à une nouvelle loi, le pouvoir veut démontrer qu’il a tout fait pour éviter le report technique. Ses efforts de réforme électorale, qu’ils soient ou non sincères, sont en tout cas doublés d’efforts visant à sécuriser une nouvelle rallonge du mandat parlementaire acceptable de tous : un report technique sur la base de la loi de 1960. Les observateurs ont en tout cas retenu des propos du président Michel Aoun mardi dernier, la réduction des trois niets à deux : non à la prorogation, non au vide… et silence sur la loi de 1960.
Mais entre les dérapages communautaires sous-tendant la réforme électorale et les manœuvres de l’ombre préludant au maintien de la loi de 1960, l’essentiel se perd. Le président Fouad Chéhab, artisan de la loi de 1960 qui avait mis un terme à la guerre de 1958, avait écrit à la fin de son mandat dans un message marquant son retrait de la vie politique en 1970 son ultime souhait : la modernisation de la loi électorale dans le sens d’un dépassement des clivages communautaires, pour éviter le pire. Revenant sur cet épisode, le député Nabil de Freige constate, dans un entretien express avec L’OLJ, que ceux qui, aujourd’hui, sont les plus prompts à citer Fouad Chéhab tentent de confectionner une loi qui exacerbe ces clivages, ou, au mieux, les maintient. Le pays encourt désormais une menace existentielle.