IMLebanon

Le Sénat et la décentralisation à nouveau sur le tapis

Sandra NOUJEIM

Au premier jour du dialogue national, mardi, à Aïn el-Tiné, toutes les parties ont marqué la présidentielle comme démarche prioritaire, sans toutefois s’accorder sur la nécessité de l’associer ou non à un package deal (pour lequel a encore plaidé hier le député Mohammad Raad). Cette association est maintenue, le président de la Chambre ayant veillé d’ailleurs, en connaissance de cause, à la différencier d’une Constituante. Le débat s’est alors orienté – avec l’adhésion des députés Mohammad Raad et Sleiman Frangié – vers l’option d’un candidat consensuel. Une option à laquelle rien ne semble donner suite pour l’heure, mais dont l’effet direct serait de confirmer l’échec de l’option Michel Aoun – étroitement liée d’ailleurs à l’exigence d’un consensus préalable à l’élection d’un président. Si le courant du Futur, représenté à la table de dialogue par l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, a pu décrocher une adhésion formelle et unanime à l’accord de Taëf, cette adhésion n’a amené aucune partie à dénoncer la contrainte du consensus à tous les niveaux de prise de décision, y compris la présidentielle. Loin de là. M. Siniora a ainsi lui-même salué hier « l’idée nouvelle d’un candidat consensuel avancée hier (la veille), dont l’avantage est d’empêcher une partie de s’imposer à une autre ». Une déclaration qui conforte l’optique d’un cinquième candidat, mais qui pèche par une subordination indirecte à la logique du consensus, une logique qui a, depuis 2009, paralysé les mécanismes prévus par Taëf.

L’adhésion unanime à Taëf obtenue mardi n’a donc qu’une portée strictement morale et symbolique : celle de freiner les velléités d’une Constituante et d’imposer l’application du texte, comme condition sine qua none à sa révision éventuelle.
La deuxième séance de dialogue hier s’est ainsi axée sur les réformes prévues par Taëf, restées jusque-là lettre morte, en l’occurrence la décentralisation, l’élaboration d’une loi électorale juste et représentative, l’abolition du confessionnalisme politique et la création conséquente d’un Sénat.
L’idée de la décentralisation administrative avait été avancée la veille par le chef du Parti syrien national social, Assaad Hardane. Cela a incité les protagonistes à envisager l’idée d’étendre le projet de nouvelle loi électorale à un chantier plus large de « réforme du système », mais toujours dans les limites de Taëf.
Se montrant favorable à cette approche, Fouad Siniora aurait pris les devants hier en relançant le projet de création d’un Sénat. « Notre Constitution, en son état actuel, est le ciment d’un système garant du pluralisme et des intérêts de chacune de ses composantes », a-t-il commencé par dire, décrivant les deux structures complémentaires que prévoit la Constitution : « D’une part, un régime parlementaire démocratique, qui obéit à la volonté des citoyens ; de l’autre, un système garant des collectivités et de leurs intérêts, à savoir le Sénat. »
Une source du bloc du Futur rappelle à L’Orient-Le Jour que le projet de création d’un Sénat avait été lancée en 2013 par le chef du courant du Futur, Saad Hariri, dans une initiative en quatre points, qui avait inclus l’instauration de la décentralisation administrative, l’adoption du scrutin mixte (30 % proportionnelle-70 % majoritaire) sur base de petites circonscriptions (élisant deux à cinq députés chacune) et la mise en œuvre de la déclaration de Baabda. Avec une nuance relative à l’instauration d’un Sénat : le courant du Futur prévoit l’abolition du confessionnalisme, mais seulement après un premier mandat « d’essai » du Sénat. Il s’agit d’un léger remaniement du mécanisme prévu par Taëf, ce dernier ayant prévu l’instauration du Sénat à la suite du processus de déconfessionnalisation. La source justifie ce remaniement par « l’enjeu qui consiste à rassurer les chrétiens ». C’est pourtant le député Sleiman Frangié qui a rappelé hier la lettre de Taëf sur ce point.
De son côté, le président de la Chambre a plaidé pour « une loi électorale qui respecte la parité islamo-chrétienne : tout ce qui est national est à 50 % chrétien et 50 % musulman, indépendamment des inégalités de nombre ». Il a accueilli en outre favorablement le projet d’un Sénat « élu sur la base de la loi dite orthodoxe », ce qu’aucune partie ne conteste.
Loin de désapprouver le projet d’un Sénat, les ministres Boutros Harb et Michel Pharaon ont toutefois cherché à ramener le débat vers l’essentiel : la présidentielle et la loi électorale.
Il y aurait en effet, dans des milieux indépendants du 14 Mars, une crainte de voir ces deux priorités se dissoudre dans un chantier de réforme inopportun et long. Une autre appréhension, qu’il reste néanmoins à vérifier, est que l’évocation des réformes de Taëf ne soit un moyen de réincorporer insidieusement au débat la question du changement de système. Ainsi, par exemple, dans la foulée des plaidoyers de réformes hier, M. Frangié a glissé pour la première fois l’idée d’élire un président au suffrage universel. Mais pour les milieux du courant du Futur, ce serait pousser la lecture trop loin.
Alors que le député Samy Gemayel a prôné hier (avec Nagib Mikati) la mise en œuvre simultanée des quatre réformes prévues par Taëf et a applaudi à la décision prise hier de renvoyer aux commissions parlementaires la proposition de loi sur la décentralisation, il a néanmoins appelé les participants au dialogue à n’entériner aucune réforme avant l’élection d’un président et le vote d’une nouvelle loi électorale. Et c’est ce à quoi les parties se sont engagées, clôturant ainsi un nouvel épisode d’élucubrations. Il est prévu que le parrain du dialogue clôt la dernière séance aujourd’hui en annonçant la création d’un comité de suivi des réformes proposées…