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Les « caprices aounistes » de moins en moins tolérés

 

La situation

Sandra NOUJEIM

En attendant septembre, mois de toutes les échéances, semble-t-il, le pays se maintient grâce à deux éléments, devenus des constantes : le gouvernement de Tammam Salam et le dialogue Hezbollah-Futur. « Tant que le dialogue est en marche, cela signifie que le pays va bien », selon l’expression du président de la Chambre, Nabih Berry, transmise par ses visiteurs. En revanche, la chute du cabinet Salam signifierait que le déblocage de la présidentielle a commencé, à en croire des sources diplomatiques citées par l’agence al-Markaziya.

Le maintien du gouvernement, en dépit des controverses, comme celle des nominations sécuritaires, est facilité par l’attitude de conciliation adoptée à l’égard du Courant patriotique libre. Les médiations se poursuivent, menées de pair par Nabih Berry, Walid Joumblatt et Tammam Salam, pour une relance des réunions du Conseil des ministres, suspendues depuis une semaine. Il est peu probable toutefois que les réunions ministérielles reprennent cette semaine.

Si les ministres aounistes n’ont pas la volonté de se retirer du cabinet, mais seulement d’inciter à une prise en compte de leur position sur le dossier des nominations sécuritaires, rien ne garantit que la suspension des réunions ne se prolonge jusqu’à septembre, date du départ à la retraite du commandant en chef de l’armée. Bien sûr, la majorité des ministres refusent la paralysie de l’exécutif, que certains dossiers urgents ne supporteraient pas. )

Pourtant, le chef du bloc du Changement et de la Réforme, le général Michel Aoun, persiste et signe : « Retarder le départ à la retraite des responsables sécuritaires est illégal, il affecte le moral des officiers compétents et transforme ceux qui en bénéficient en journaliers chez les ministres de la Défense et de l’Intérieur », a-t-il ainsi déclaré samedi devant une délégation de Jbeil qui s’est rendue à Rabieh.

Pour l’instant, nul n’évoque de crise ministérielle, mais plutôt un répit accordé au gouvernement pour empêcher que la polémique ne dégénère en démission des ministres aounistes. Néanmoins, les opinions divergent quant à la possibilité, non pas au regard de la Constitution, mais du pacte national, de maintenir en marche le cabinet si ces ministres venaient à s’en retirer.

Le ministre de la Justice, Achraf Rifi, défend l’avis selon lequel le cabinet resterait, dans ce cas, en conformité avec le pacte national. Dans une interview au quotidien al-Liwa’, à paraître aujourd’hui, il a appelé à « couper court aux caprices du général Aoun, qui ne doit pas se voir donner l’occasion de paralyser les intérêts des Libanais. Michel Aoun est comme Néron, prêt à mettre le feu au pays pour ses intérêts propres et ceux de sa famille ». Et Achraf Rifi de rappeler : « Michel Aoun n’a pas menacé de descendre dans la rue, ni ne s’est lamenté pour les droits des chrétiens, lorsque son allié lui a arraché le poste de directeur de la Sûreté générale. »

Samedi, le ministre Rifi s’était clairement prononcé contre l’accession du général Aoun à la magistrature suprême. « Le général Aoun ne sera jamais président de la République. Nous empêcherons l’élection de tout candidat qui porte le projet iranien. Le général Aoun en est un. Je suis contre son élection, point à la ligne », a-t-il déclaré. Il a estimé que « le chef du CPL assure une couverture chrétienne au Hezbollah pour le boycottage des séances électorales, qui est un crime national ».

Pour sa part, le coordinateur du 14 Mars, l’ancien député Farès Souhaid, a été clair quant à la responsabilité du Hezbollah par rapport à la vacance présidentielle : « Le Hezbollah est le premier obstructionniste de l’élection d’un chef de l’État, pour des considérations iraniennes et régionales. C’est le Hezbollah qui sera le premier à payer le prix de la vacance. »
 

« Le double discours du Hezbollah »

En contrepartie, le parti chiite a lancé hier un appel direct au 14 Mars, par la voix de son secrétaire général adjoint, le cheikh Naïm Kassem : « Le 14 Mars ferait mieux d’accepter notre main tendue, sinon il restera sur le quai. » Le vice-président du conseil exécutif du Hezbollah, le cheikh Nabil Kaouk, s’est également adressé directement au 14 Mars dont il a remis en question la modération.

Le Hezbollah accuse le 14 Mars de paralysie institutionnelle, de fausse modération et de discours incitant à la haine confessionnelle. Néanmoins, la nécessité d’un partenariat national y est évoquée. Faut-il y voir une dualité dans le discours ? Le Hezbollah préparerait-il, d’ores et déjà, l’après-Syrie ?

Interrogé par L’Orient-Le Jour, le député du courant du Futur, Ahmad Fatfat, estime que ce discours n’est rien de plus qu’une « fuite en avant ». Si le Hezbollah remet en question tous les principes du 14 Mars (modération, allégeance aux institutions…), c’est « sans doute parce qu’il se rend compte que notre discours a touché une partie de sa base populaire », affirme le député. Mais il est une dualité qu’il relève dans le discours du Hezbollah et qui se situe entre « le discours du secrétaire général du parti, qui tend à l’ouverture, et celui du secrétaire adjoint qui ne fait que durcir le ton ». « Faut-il y voir un double jeu du Hezbollah, ou bien une divergence de tendances à l’intérieur même du parti ? » s’interroge Ahmad Fatfat.
Le député ne manque pas de souligner par ailleurs que le parti chiite a une conception équivoque du partenariat auquel il appelle. « Du point de vue du Hezbollah, le partenariat signifie un alignement entier sur son point de vue », dit-il, sans manquer de rappeler que « nous avions préconisé un partenariat sur la présidentielle, et voyez le résultat… ».

Le secrétaire général du courant du Futur, Ahmad Hariri, avait précisé, samedi, les fondements du « partenariat national : l’entente nationale, la déclaration de Baabda et les décisions émanant des tables de dialogue ». Ce partenariat existe « en dépit de la profonde faille provoquée par l’insistance du Hezbollah à user de la force de ses armes et à déroger à l’entente nationale ». « Réparer le partenariat national est un devoir sacré, supérieur au devoir jihadiste, qui commence par la résolution des causes, et non la gestion des résultats par une fuite en avant », a-t-il poursuivi, lors d’une conférence sur les politiques de jeunesse organisée par le Futur. « D’aucuns sont allés très loin dans leurs calculs au point de perdre la boussole (…). Sinon, qu’ils nous expliquent comment ils ont substitué à l’inimitié avec Israël une inimitié avec le courant du Futur et le bloc Liban d’abord, et comment, aujourd’hui, ils ont remplacé l’ennemi israélien par l’ennemi saoudien et arabe », a-t-il dit, en pointant du doigt le camp pro-iranien. Il a appelé en outre à « la solidarité avec l’armée », soulignant que « les combats pour la protection de Bachar el-Assad ne nous concernent pas ».

Répondant à Ahmad Hariri, le secrétaire général de la section libanaise du parti Baas, Mohammad Chaker Kawwas, a déclaré que « la pensée wahhabite est le prolongement de la pensée sioniste : toutes deux se fondent sur le meurtre et l’intimidation, et constituent la base du terrorisme, de la régression et l’ignorance dans la région et dans le monde. En s’ouvrant aux régimes archaïques arabes, notamment l’Arabie saoudite, au nom de la solidarité arabe contre Israël, les régimes progressistes arabes de la fin du siècle sont responsables d’avoir diffusé la pensée wahhabite et d’en permettre l’infiltration dans nos sociétés, au prix du nationalisme laïc ».