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Entre Aoun et Riyad, de la courtoisie mutuelle, en attendant des actes concrets

 

Sandra NOUJEIM |

Une manière mesurée de réagir à la visite en Arabie du président de la République, le général Michel Aoun, serait d’y voir « le début de quelque chose de positif ». C’est ce bilan que partagent des milieux du courant du Futur et des Forces libanaises (FL), tous deux ayant intérêt à vérifier, dans les faits, la possibilité d’un recentrage du chef de l’État.
L’interview que ce dernier a accordée jeudi à la chaîne al-Arabiya fournit certains indices sur les contours d’un tel recentrage, eu égard notamment aux armes du Hezbollah et de son engagement militaire en Syrie. Le président s’est prononcé sur cet engagement « sans le condamner ni l’appuyer ». Il a néanmoins fait remarquer que « le choix de certaines parties libanaises de participer à la guerre syrienne n’a pas été celui de l’État, même si les circonstances de cet engagement étaient délicates, surtout après les accrochages survenus aux frontières ». Et d’ajouter, en réponse à une question, qu’il n’est « pas pour ce choix », mais qu’en tout cas « cette question ne fait pas l’objet d’un consensus entre Libanais », et qu’en sa qualité de président de la République, « qui représente tous les Libanais, je n’ai pas le droit d’être avec une partie contre une autre ». C’est pourquoi, a-t-il poursuivi, « c’est la neutralité positive que je préconise ». Il a critiqué « le terme de distanciation, puisque les affaires régionales nous concernent. C’est en revanche le fait de s’y impliquer qui constitue une erreur. Partant, nous ne devrions pas tant nous distancier que tenter de rectifier ce que nous pouvons, et plus précisément d’aboutir à une conciliation (NDLR : des différentes positions). C’est ce que le Liban a tenté de faire (NDLR : depuis la présidentielle) en veillant à interdire que toute nuisance à un autre État, ou toute démarche susceptible d’être interprétée comme une ingérence dans les affaires d’autrui, émane de notre pays ». Ainsi, c’est sur une distinction entre l’avant et l’après-présidentielle que le chef de l’État s’est appuyé pour démontrer que son régime amorce un assainissement des rapports libano-saoudiens.
C’est sur cette même distinction qu’il s’est fondé pour mettre hors débat la présence du Hezbollah en Syrie : il a laissé entendre d’abord que celle-ci ne concerne pas son mandat, l’engagement du parti en Syrie ayant été décidé « alors que je n’étais pas encore aux affaires ». Il a situé surtout dans un contexte strictement externe, distinct du contexte libanais interne, le rôle du Hezbollah dans la région. « Le rôle de la résistance fait désormais partie intégrante de la crise du Moyen-Orient, dans laquelle sont impliqués les États-Unis, la Russie, l’Iran et l’Arabie saoudite. » En revanche, « à l’intérieur du Liban, la résistance n’a plus de rôle. Nous avons soutenu la résistance et mené la lutte contre le terrorisme, mais nous refusons l’usage de toute arme (NDLR : illégale) à l’intérieur du Liban », a-t-il déclaré, en soulignant le caractère « temporaire des armes de la résistance ».
Ce discours du président de la République s’aligne sur la politique de gestion de conflit qui prévaut au Liban depuis la fin du mandat Sleiman. Une politique qui avait motivé d’ailleurs l’appui du courant du Futur à l’élection de Michel Aoun. L’analyste politique Sami Nader croit déceler ainsi dans la reconnaissance par le chef de l’État que l’engagement régional du Hezbollah ne fait pas l’unanimité nationale, « un aveu implicite que la souveraineté de l’État reste partielle, mais ne fera pas l’objet d’un débat interne, au motif de préserver la stabilité du pays ». Le président vient donc consacrer, à l’issue de sa visite en Arabie, l’enjeu – dont il est désormais un garant – de préserver la stabilité sécuritaire et économique du Liban, indépendamment des questions d’ordre stratégique.

« Mention bien »
L’Arabie serait désormais compréhensive de cette logique, comme semblent en attester les échanges bilatéraux à Riyad. Ainsi, on apprend de sources concordantes que les interlocuteurs saoudiens ont veillé à ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures libanaises : ils n’ont pas fait mention du Hezbollah, même s’ils n’ont pas épargné les puissances régionales. Concrètement, ils ont finalement débloqué de nombreux dossiers (à caractère économique), « à l’exception des dossiers vraiment stratégiques », rapporte une source informée de la visite. Pour une source du courant du Futur, qui fait état d’un « bon début vers un recentrage de Michel Aoun », l’Arabie saoudite lui aurait quelque peu facilité la tâche. « Riyad ne demande pas que le Liban s’engage sur le front avec les pays arabes, mais estime qu’il ne devrait pas servir non plus de base avancée à d’autres projets. » Le prochain sommet arabe et la position du Liban vis-à-vis de son environnement immédiat seront un bon test pour juger des progrès du chef de la diplomatie, Gebran Bassil, dans ce sens, ajoute cette source.
C’est donc à juste titre que le ministre de l’Éducation Marwan Hamadé dresse le bilan suivant à L’OLJ : « Si je dois décerner une mention à la visite du président Aoun en Arabie, je dirais qu’on est proche de la mention bien, et cela grâce à la prudence et au calme du chef de l’État, et à la courtoisie de ses hôtes. » Il constate en somme que si une « page noire est tournée, il reste à bien remplir la page blanche qui s’ouvre ». Parce que si « le président a bien accompli sa mission en Arabie, il reste une mission que le Liban doit accomplir, en restaurant et consolidant sa souveraineté sur son territoire ».
Mais c’est précisément cet enjeu pour le Liban de recouvrer son entière souveraineté qui reste imprécis. Cela ne s’arrête pas là : la capacité des parties locales de contrer toute éventuelle pression militaire que tenterait d’exercer le Hezbollah sur le plan interne reste, elle aussi, incertaine. Sous cet angle, certains observateurs estiment que le Hezb – bien qu’ayant repris ponctuellement ses attaques contre Riyad par la voix du cheikh Nabil Kaouk, au premier jour de la visite de Michel Aoun en Arabie – aurait tout intérêt, à l’heure actuelle, à un dégel des rapports libano-saoudiens. Cet avis estime en effet que le parti chiite souscrit à l’enjeu de revitaliser économiquement le Liban et d’en préserver la stabilité. L’objectif immédiat du parti chiite étant de calmer le jeu sur la scène interne, du fait de son engagement sur tous les fronts régionaux, un calme dont le président Aoun aurait porté les couleurs à Riyad, selon cette grille d’analyse.
Des milieux du courant du Futur et des FL restent, eux, prudents dans l’évaluation de la portée de la visite du président. Alors que les premiers estiment que « le premier test après la visite en Arabie sera le sommet arabe prévu en mars prochain », les seconds relèvent que « cette visite a pour mérite d’avoir eu lieu. Ses résultats, eux, se révèleront progressivement ».