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Compromis Frangié : les parties chrétiennes mises devant le fait accompli ?

 

Sandra NOUJEIM 

Le compromis sur l’élection du député Sleimane Frangié à la présidence de la République n’attendrait plus que son annonce officielle, sous peu, par le chef du courant du Futur, Saad Hariri. Des sources libanaises à Paris révèlent en effet à L’Orient-Le Jour que M. Hariri pourrait annoncer son appui à la candidature du député de Zghorta aujourd’hui à l’issue de sa rencontre avec le président François Hollande, prévue dans la matinée à l’Élysée. Le refus par la France de la candidature de M. Frangié est ainsi démenti par les sources précitées. Ce qui est sûr, toutefois, c’est que « l’annonce de cette candidature n’émanera pas officiellement du candidat en question, mais de Saad Hariri », ajoutent-elles.

Ce dernier doit s’entretenir aujourd’hui à Paris avec plusieurs parties politiques libanaises, notamment avec un groupe de personnalités indépendantes du 14 Mars, avant de se rendre à Riyad pour un entretien avec les cadres du Futur. L’objectif en serait moins, semble-t-il, de recueillir un consensus autour de la candidature de Sleimane Frangié que de finaliser la mise en œuvre du compromis en question, c’est-à-dire de l’imposer.
Certes, la question d’assurer une couverture chrétienne à la séance électorale (reportée, hier, par le président de la Chambre à la date relativement proche du 16 décembre courant) continue d’être évoquée comme un passage obligé. Certaines sources du Futur font état de « concertations continues avec les différentes parties, notamment les Forces libanaises », et assurent qu’aucune candidature ne sera avalisée par le Futur sans l’accord préalable des parties du 14 Mars.

Mais les faits laissent croire pourtant à un forcing pour une relance des institutions sur la base d’une nouvelle configuration politique.
La visite rendue par Sleimane Frangié, hier en soirée, au domicile du chef du Parti socialiste progressiste, le député Walid Joumblatt, en était révélatrice. Le premier a déclaré, devant les médias, avoir « assuré à Walid bey que nous serons ensemble à l’avenir, quelles que soient les circonstances ». Une assurance similaire a émané en substance du second. Mais c’est principalement aux parties chrétiennes que le député de Zghorta s’est adressé. Il a réaffirmé la solidité de son alliance avec le chef du bloc du Changement et de la Réforme, le député Michel Aoun, et avec le 8 Mars, et s’est dit prêt à « rassurer toutes les parties », notamment chrétiennes.
Mais les propos du ministre Waël Bou Faour, après un entretien hier avec le président de la Chambre, Nabih Berry, ont révélé une volonté de mettre les parties chrétiennes récalcitrantes devant le fait accompli (« le compromis avancé est la meilleure des options. Même s’il ne satisfait pas toutes les parties, ni tous les intérêts, ni toutes les humeurs, il a pour mérite au moins de consacrer un nouvel équilibre dans le pays, à travers une représentation politique juste de toutes les parties »). Il a en outre fait une référence claire au fait que Bkerké puisse assurer la couverture chrétienne nécessaire à ce compromis (« Sleiman Frangié fait partie de l’un des quatre pôles chrétiens ayant intégré la liste des quatre candidats forts élaborée à Bkerké »).
De fait, le patriarche maronite pourrait recevoir Sleimane Frangié dans les prochaines heures afin d’être informé de la teneur du compromis. La réunion mensuelle ordinaire du Conseil des évêques maronites, prévue sous peu, pourrait aboutir à l’annonce de la position de Bkerké sur l’élection éventuelle du député de Zghorta.
Que certains milieux chrétiens jugent « improbable et insuffisante » la seule couverture de l’autorité spirituelle maronite semble désormais hors de propos. Une partie chrétienne informée se dit certaine que « le deal passera, avec ou sans les chrétiens ».
Pire, dans les milieux favorables au compromis, une conviction prévaudrait selon laquelle toutes les réticences se dissiperont une fois le compromis mis en marche avec l’annonce de la candidature de Sleimane Frangié. « Les parties se rendront toutes à la séance électorale, mais pourraient bien ne pas voter », confie à L’OLJ une source du Futur proche des concertations, convaincue que « les parties chrétiennes n’ont pas véritablement argué de leur refus de la candidature de Sleimane Frangié ».

Pourtant, les Kataëb ont soumis une liste de principes auxquels ce dernier doit préalablement s’engager pour décrocher leur appui : ces principes touchent notamment aux armes du Hezbollah et son implication en Syrie, et portent surtout sur la neutralité (dans les paroles et les actes) du Liban à l’égard des développements régionaux.
C’est également en fonction de « critères nationaux », sur lesquels Sleimane Frangié omet pour l’instant de se prononcer, que les Forces libanaises envisagent hypothétiquement leur appui à sa candidature.
Du côté du Courant patriotique libre, le mutisme a été percé quelque peu hier par des propos tenus par le coordinateur général du Courant patriotique libre, Pierre Raffoul, lors d’une conférence à Sydney, en présence notamment du consul honorifique syrien, Maher Dabbagh. « Le temps est venu d’accélérer le processus de sauvetage du pays, loin de tout fromagisme et de toute entreprise vindicative. Oui, nous bloquons la présidentielle, mais c’est parce que nous voulons un président et non un présidé », a-t-il déclaré, tout en disant « vouloir un président ayant de bons rapports avec la Syrie ». Et d’ajouter : « Ils veulent que le plus fort chez eux soit Premier ministre et nous voulons que le plus fort chez nous soit président de la République. Si l’état d’obstination est maintenu, nous nous dirigerons droit vers une assemblée constituante. C’est pourquoi nous devons nous hâter de sauver le pays. »

Si ces propos défendent la chose et son contraire, ils renvoient à l’indécision du CPL, qu’aucune information sûre ne vient, pour l’heure, dissiper. Ce que confirme toutefois une source du Futur à L’OLJ, c’est que « le Hezbollah se rendra à la séance électorale et ne se contentera pas d’un vote blanc pour se tirer d’embarras : il votera Sleiman Frangié ».
Une confirmation soutenue par une expression lapidaire qui décrit le nouvel état des lieux au Liban, telle que la rapportent des sources proches des contacts en cours : « Le Liban est désormais une zone d’influence iranienne. L’heure n’est plus à la pax syriana, mais à la pax iraniana. »
Si, pour Saad Hariri, le bénéfice direct est de « se renflouer politiquement et financièrement à travers la présidence du Conseil », selon une lecture très critique à l’égard du compromis, il n’empêche qu’il donnerait, sciemment ou pas, le feu vert à cette « nouvelle phase »…