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Frangié tend la main à Geagea et… se rapproche de Baabda  

Fady NOUN 

Certes, il existe encore des inconnues. Mais avec la succession d’entretiens qui se sont tenus hier à Paris, Bkerké et Bickfaya, les chances d’un compromis politique global au Liban dont la clé serait l’élection de Sleimane Frangié à la présidence de la République, vacante depuis plus d’un an et demi, continuent d’augmenter.
Avec le retour au Liban du patriarche maronite, au terme d’une tournée pastorale au Mexique et en Allemagne, ce processus devrait avancer encore plus vite. En effet, la couverture politique de Bkerké est indispensable au candidat à la présidence, au cas où les ténors chrétiens du 14 Mars lui refuseraient leur appui, ou exigeraient en échange des garanties qu’il ne pourrait leur apporter. Or, cette couverture semble à portée de main, après la rencontre hier entre les deux hommes et l’on en aura certainement un écho dans le communiqué que doit publier aujourd’hui, au terme de sa réunion mensuelle, l’assemblée des évêques maronites.
Certes, M. Frangié est également tributaire d’un appui de son allié, Michel Aoun, mais c’est là une autre histoire. Une rencontre de travail entre les deux hommes devrait clarifier cette situation passablement ambiguë, puisque M. Frangié appuyait au départ la candidature de Michel Aoun, et que la présente initiative semble avoir été lancée sans que le second en soit informé. Il reste que, comme on l’a bien dit, « la balle est aussi dans leur camp » à tous deux.
Les points que l’initiative Hariri-Frangié a marqués hier se résument ainsi : à Paris, M. Hariri a assuré avoir « beaucoup d’espoir » de sortir de la paralysie des institutions. Lors de son entretien avec le président François Hollande, il a souligné avoir constaté, avec son interlocuteur, « l’importance qu’il y avait à mettre un terme au vide constitutionnel qui existe actuellement » au Liban.
À cet aval poli, mais non encore enthousiaste, s’ajoute celui de Boutros Harb, qui a été reçu hier à Paris par M. Hariri, et qui a souligné après son entretien qu’il avait insisté pour que ce compromis ne revête pas le cachet d’ « une victoire d’un camp sur l’autre », et qu’en définitive, « c’est à son programme que l’on doit juger le futur président du Liban, et non à sa personne », une proposition que pourraient reprendre telle quelle tous les ténors du camp chrétien, et dont M. Frangié devra nécessairement tenir compte, quelles que soient par ailleurs ses convictions et ses positions passées.
À Bkerké, M. Frangié s’est exprimé comme s’il s’était déjà mis dans la peau du président. Ainsi, il a tenu à rassurer le 14 Mars, en termes très généraux certes, sur les deux dossiers essentiels de la neutralité du Liban et du retrait du Hezbollah de Syrie, et de la loi électorale. M. Frangié a également tendu la main au chef des FL, Samir Geagea, qui avait participé en 1978 à l’assaut qui devait conduire à l’assassinat de ses parents, à Ehden, en indiquant qu’il laissera derrière lui, s’il est élu, « les différends personnels ».
Le patriarche Raï, lui, n’a pas ménagé les éloges à son hôte, qu’il a accueilli en affirmant qu’il avait « rendu la joie aux Libanais » en faisant bouger les choses dans la bonne direction.
De source bien informée, on a par ailleurs dissipé hier tout doute au sujet de l’appui de l’Arabie saoudite au compromis en cours. Cet appui est effectif, ont affirmé ces sources à l’issue de la rencontre à Bickfaya entre Samy Gemayel et l’ambassadeur d’Arabie saoudite. Bien plus, ont ajouté ces sources, ce compromis est en phase avec ce qui se passe dans la région, et auquel il est préférable que le Liban se joigne, compte tenu du fait que les États-Unis et l’Iran sont deux des grands joueurs de ce processus. L’élection de M. Frangié à la présidence de la République serait ainsi « un autre pas mesuré en direction d’une meilleure coopération régionale », selon des sources américaines citées par la presse qui mettent quand même en garde contre le fait de lui donner « plus d’impact qu’elle n’en a ».
Certes, le diplomate saoudien a tenu à affirmer que son pays ne s’ingère pas dans les affaires internes du pays, il n’en demeure pas moins que le compromis en cours semble arranger son pays, qui cherche à se repositionner sur la scène libanaise et qui, à cet égard, préfère traiter avec M. Frangié qu’avec un homme « imprévisible » comme Michel Aoun, contre lequel, d’ailleurs, il existe un véto du côté chrétien, ce qui n’est pas le cas pour M. Frangié.
On va même jusqu’à dire, dans les milieux cités, qu’il existe un volet économique à ce compromis, avec l’émergence d’un Liban pays producteur de gaz et de pétrole, et que cette perspective n’a pu être tout à fait absente de l’esprit de l’homme d’affaires Gilbert Chaghouri, qui a été l’un des artisans de la rencontre à Paris entre Saad Hariri et Sleimane Frangié.
L’ambassadeur saoudien, à la suite de Sleimane Frangié et Walid Joumblatt, a plaidé en faveur du compromis au Liban, mettant en garde contre « des dangers qui s’annoncent ». Quels sont ces dangers ? Mais quelle importance ? Que doit-on craindre qui ne se soit produit déjà, comme on peut le constater à chaque coin de rue, avec des amoncellements de détritus qui attestent, mieux que tout, de notre incapacité à nous gouverner et à gérer nos problèmes. Quel que soit le président que nous allons élire, après être tombés si bas, ça ne pourra être qu’un progrès.