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Que se passe-t-il avec l’argent dû aux municipalités ?

 

Si l’adoption, en décembre, de trois décrets arrêtant le versement des fonds aux municipalités devait enfin leur permettre d’assurer leurs missions, certaines attendent toujours leur argent.

Céline HADDAD 

À quelques mois des élections municipales, l’épineux dossier du financement de ces collectivités locales ne semble toujours pas réglé. Ce mardi, une vingtaine de représentants des municipalités du caza de Baabda se sont ainsi réunis pour réclamer vigoureusement le versement immédiat des sommes que leur doit encore l’État. « Le ministre des Finances n’a toujours pas réglé les municipalités du Mont-Liban et de Beyrouth, contrairement au reste des mohafazats du pays, nous réclamons donc notre dû », explique à L’Orient-Le Jour le député de Baabda (bloc du Changement et de la Réforme), Naji Gharios, confirmant que « ces revenus sont vitaux et nécessaires pour nous aider à gérer la crise des déchets ».

1 200 milliards de dettes
De telles revendications ne sont pas nouvelles, elles avaient largement réclamé par les différents mouvements de protestation civique lors des manifestations contre la mauvaise gestion des déchets, ces derniers ayant bien compris que les municipalités, à qui le gouvernement compte déléguer la collecte et le traitement des ordures, n’ont souvent pas assez de ressources pour assurer cette mission.
Seuls trois canaux de financement de leur budget sont prévus : soit à travers la perception directe d’une quinzaine de taxes – sur la valeur locative et les permis de construire entre autres – ou indirectement à travers les institutions publiques, parapubliques ou privées – pour les surtaxes sur l’eau et l’électricité consommées par exemple – ou encore à travers la Caisse autonome des municipalités (CAM) chargée de redistribuer les recettes de surtaxes collectées par l’État, notamment celles sur les cigarettes ou sur les profits des entreprises. Or, les revenus de cette dernière sont souvent versés en retard et pas toujours de manière transparente. « Jusqu’à 2014, nous recevions les revenus de la CAM, déjà escomptés du coût de Sukleen, mais le nombre de tonnes traitées n’était souvent pas communiqué », raconte le président de la municipalité de Aïn Dara (Aley), Sami Haddad.

Autre problème, et non des moindres, le cas particulier de la taxe de 10 % des recettes de la téléphonie mobile. Collectées directement par le ministère des Télécoms pour le compte des municipalités, elles n’ont jamais été allouées à ces dernières depuis leur création en 1994 sous prétexte que la localisation géographique de l’abonné n’était pas pertinente dans le cas de la téléphonie mobile. En effet, de 1994 à 2010, le ministère des Télécoms transférait la totalité de ses recettes au Trésor – qui utilisait alors allègrement cet argent pour financer les dépenses de l’État – alors que la loi lui imposait d’en reverser une partie aux municipalités. En 2010, le ministre Charbel Nahas met fin à cette pratique en reversant sur un compte séparé la part des municipalités, en attendant que des modalités de répartition soient définies. Mais, en 2014, l’actuel ministre des Télécoms, Boutros Harb, décide de transférer à nouveau ces revenus au Trésor, pour le compte de la CAM.

Au total ce sont plus de 1 200 milliards de livres (environ 796 millions de dollars) d’arriérés, à la fois de la surtaxe de la téléphonie mobile entre janvier 2010 et mai 2014, et des revenus de la CAM pour 2014 qui sont dus aux municipalités libanaises. Une dette censée être apurée grâce aux trois décrets publiés au Journal officiel le 3 décembre dernier (voir ci-dessous), les revenus de la téléphonie mobile entre 1994 et 2010 devant être échelonnés ultérieurement. La totalité des personnes consultées par L’Orient-Le Jour rappellent d’ailleurs que le transfert des recettes de 1994 à 2010 reste une nécessité et attendent également son transfert.

Cercle vicieux
Cet argent, lorsqu’il est versé, permet aux municipalités de renflouer leurs comptes et de pouvoir enfin mener à bien leurs projets d’infrastructure. « Il y a trois semaines, nous avons reçu les revenus de la CAM en 2014, soit 470 millions de livres, et 950 millions de livres de la téléphonie mobile. Grâce à cet argent, nous allons pouvoir asphalter nos routes et construire une corniche avec des jardins, un marché et des pistes cyclables », raconte Antoine Issa, maire d’Amchit (Liban-Nord).

Reste que les mohafazats du Mont-Liban et de Beyrouth, et certaines fédérations de municipalités n’ont pas encore reçu ces sommes. « Nous attendons quelque 843 millions de livres au titre de la taxe sur la téléphonie mobile et environ 300 millions de livres pour les revenus de la CAM, mais nous n’avons rien reçu. Si nous ne sommes pas payés, nos caisses seront vides dans quelques mois », déplore M. Haddad. « La Fédération des municipalités de Jezzine n’a pas reçu ces sommes, tandis que la municipalité, elle, a reçu les recettes de la taxe mobile (1,4 milliard de livres). Un retard justifié par le fait que la fédération doit prendre en charge la gestion des déchets. Mais notre contrat de collecte prend fin le mois prochain, comment pouvons-nous financer un nouveau contrat, si nous ne recevons pas ces fonds ?

C’est un cercle vicieux », renchérit Khalil Harfouche, président de la Fédération des municipalités de Jezzine (Sud). Selon plusieurs sources, l’une des raisons pour lesquelles ces sommes ne sont pas encore octroyées tiendrait au fait qu’elles risquent de servir à financer l’exportation des déchets, les revenus de la CAM n’étant pas suffisants pour mettre en œuvre cette solution encore plus onéreuse que la gestion des déchets par Sukleen. Contacté par L’Orient-Le Jour, le ministère des Finances n’a pas souhaité répondre à nos questions sur ce dossier.

« Des rumeurs affirment que les revenus de la taxe mobile serviraient à financer le coût de la gestion des déchets, du fait du retard de ces transferts. Or si les décrets décident bien que les recettes de la téléphonie mobile passeraient par la CAM, cela ne signifie pas pour autant que ces revenus seront ponctionnés », nuance le président de la commission parlementaire des Finances, Ibrahim Kanaan.
De son côté, Naji Gharios affirme que le ministre des Finances aurait confirmé mardi son intention de transférer les sommes restantes aux municipalités du Mont-Liban et de Beyrouth au cours de la semaine. Mais, le ton monte. « Nous attendrons une semaine, et, si rien n’a été fait d’ici là, nous descendrons contester dans la rue et nous serons nombreux », menace-t-il.

Comment les décrets prévoient la distribution des fonds aux municipalités

Le gouvernement a publié au Journal officiel du 3 décembre dernier trois décrets organisant le versement des fonds dus aux municipalités, dont deux qui permettent la distribution de la taxe sur les recettes de la téléphonie mobile entre janvier 2010 et mai 2014. Le décret n° 2338 octroie six milliards de livres aux villages n’ayant pas de municipalités pour les travaux de voirie, l’éclairage et le nettoyage. Le décret n° 2339 autorise le transfert de 667 milliards de livres, dont 10 % iront aux fédérations de municipalités, le reste sera distribué aux municipalités, à 80 % selon le nombre d’inscrits sur les registres de l’état civil et à 20 % selon le nombre d’abonnés au réseau fixe. Enfin, le décret n° 2341 porte sur la redistribution des revenus de la Caisse autonome des municipalités pour l’année 2014, soit 527 milliards de livres. Les revenus seront reversés à 12 % aux fédérations de municipalités, à 5 % à la Défense civile et à 10 % aux municipalités de moins de 4 000 habitants. Le reste doit être distribué aux municipalités à 78 % selon le nombre d’habitants inscrits sur les registres de l’état civil et à 22 % en fonction du montant des taxes collectées durant les deux exercices précédents.