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Des contrats de gré à gré risquent de passer comme une lettre à la poste en Conseil des ministres

Le Conseil des ministres prévu aujourd’hui aura une portée particulièrement importante puisqu’il devra plancher, entre autres, sur les tristement célèbres contrats d’installation et de réhabilitation des équipements devant assurer une plus grande sécurité à l’aéroport international de Beyrouth. Ces contrats – signés avec plusieurs sociétés qui évoluent dans la sphère de certains responsables politiques de haut niveau – auraient été « signés » dans la foulée de la promesse de l’aide saoudienne d’un milliard de dollars au bénéfice des forces armées et des services de sécurité libanais. Ce premier don était destiné à financer notamment les équipements requis par la Sûreté générale (pour le lancement des passeports biométriques entre autres ) et les FSI, ainsi que la réhabilitation du système sécuritaire de l’AIB.

Mais c’était un peu vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Ainsi, la décision du royaume saoudien de suspendre cette aide, dont une partie (450 millions de dollars pour l’achat des avions Super Tucano) avait déjà été versée, comme convenu avec toutes les parties, sur le compte de l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, a mis fin, en cours de route, à la finalisation des contrats destinés à sécuriser l’AIB. Selon des sources concordantes qui suivent de près ce dossier, l’achat par le Liban de six appareils Super Tucano, à un prix « exorbitant », soit 75 millions de dollars la pièce au lieu de 19 millions, qui est le prix fixé sur le marché international, a consumé une bonne partie de ce don avant qu’il ne soit suspendu, laissant les autres contrats concernant l’AIB et « conclus » par le ministère de l’Intérieur sur le mode du gré à gré sans fonds pouvant permettre leur exécution. « Une partie du don saoudien gelé devait être consacrée à remédier à certaines failles sécuritaires et techniques de l’aéroport », avait rappelé M. Machnouk il y a quelques semaines de Londres où il se trouvait.

C’est donc vers l’État que se retournent aujourd’hui les ministres de l’Intérieur et des Travaux publics pour lui demander de financer lesdits contrats, négociés avec des sociétés locales (voir ci-dessous) et présumés signés sur la modalité du « short listing » utilisé dans le domaine des affaires privées.
Une source informée a indiqué à L’OLJ que même les règles des modalités du « short listing », généralement appliquées dans le privé, n’avaient pas été respectées dans la conclusion de ces contrats. « Ce sont notamment les sociétés qui ont été écartées sans aucune justification qui ont fini par dévoiler les dessous de l’affaire, en estimant les commissions touchées par le biais de ces contrats à 30 pour cent au moins du coût total des contrats », a encore assuré la source.

Or ce sont ces contrats de gré à gré que les ministères concernés cherchent depuis quelque temps à faire passer en Conseil des ministres, alléguant de l’urgence de procéder aux travaux d’exécution, à l’ombre des menaces « sécuritaires qui planent sur l’aéroport ». L’arrestation, il y a quelques jours, de deux employés soupçonnés de contacts avec des groupes terroristes, sitôt relâchés hier, a mis la puce à l’oreille de plusieurs médias et observateurs, qui n’ont pu s’empêcher de faire le lien entre le « scénario-catastrophe de cet employé de l’AIB qui a réussi à traverser le barrage de contrôle avec son arme » et lesdits contrats, dont l’un porte précisément sur des équipements scanners et des caméras censés pallier ces « failles ». L’affaire devait tout simplement servir d’épouvantail.

C’est donc en Conseil des ministres que devrait être tranché, aujourd’hui, ce nœud gordien qui pose par ailleurs un sérieux problème légal. Le don saoudien, ou ce qui en restait, ayant été retiré, c’est le Trésor, et donc le contribuable libanais, qui doit désormais financer ces contrats auxquels s’accrochent les ministres de l’Intérieur et des Travaux publics qui affirment ne plus pouvoir se départir de leurs engagements et faire marche arrière. Or les lois et règlementations régissant les projets financés par l’État sont bien différentes, cela va sans dire, de celles qui dictent la conclusion de contrats financés par le biais de dons privés. L’État, rappelons-le, est contraint de lancer des appels d’offres qui doivent être soumis à la direction des adjudications relevant de l’Inspection centrale et obtenir inéluctablement par la suite le feu vert du Conseil des ministres.

Le problème se complique lorsque l’on sait par ailleurs que, fonctionnant sans budget depuis une dizaine d’années, c’est sur le « douzième provisoire » que les gouvernements successifs se rabattent depuis, une hérésie jamais vue dans l’histoire des pays les plus sous-développés. Qui plus est, et même si l’on devait concéder que cette déviance est la seule issue possible en ce moment, le problème persiste lorsque l’on sait que les fonds nécessaires pour pouvoir financer ces contrats dits « urgents » font actuellement défaut. D’où le danger de faire passer au moins un des contrats, jugé « urgent » aujourd’hui, à savoir celui de la construction de l’enceinte protectrice de l’aéroport. « Ce sera une manière subtile de faire avaler la pilule, en faisant passer un contrat après l’autre », indique une source qui suit de près ce dossier.

La balle est dans la cour de l’exécutif où l’on s’attend en principe à un véritable bras de fer entre les tenants du « gré à gré » et ceux qui se disent prêts à défendre bec et ongles « la procédure légale de l’adoption des contrats », à leur tête, le CPL et les Kataëb. C’est ce que confirme à L’OLJ le ministre de l’Information, Ramzi Jreige, qui persiste à dire qu’il sera parmi ceux qui s’opposeront avec acharnement à ce subterfuge. L’on peut enfin se demander comment une administration publique peut s’engager, même à partir de promesses d’un don privé, à signer des contrats, dont elle n’avait pas assuré auparavant les fonds nécessaires, et venir lier par la suite l’État en bafouant les lois en vigueur. Ce n’est, semble-t-il, ni la première ni la dernière irrégularité flagrante du genre.

 

 

La liste des sociétés qui ont obtenu les contrats sécuritaires de gré à gré

Ci-dessous, la liste des sociétés désignées pour l’exécution des travaux de réhabilitation et d’installation d’équipements pour sécuriser l’aéroport international de Beyrouth. À noter que le coût total des contrats s’élève à 26 millions de dollars, répartis comme suit :

– Contrat octroyé à la société « Hamra » pour l’achat et l’installation de scanners : coût total, 9 533 830 dollars US.
– Contrat octroyé à la société « Hamra » pour l’achat et l’installation d’équipements de surveillance à l’extérieur de l’AIB : coût total, 9 369 000 dollars US.
– Contrat octroyé à la société « Chip » pour l’installation d’un réseau de caméras de surveillance et l’édification d’une salle de contrôle : coût total, 4 339 500 dollars US.
– Contrat octroyé à la société « Meas » pour l’achat et l’équipement de scanners sur les tapis roulants, et amélioration du système global de contrôle : coût total, 2 997 225 dollars US.