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Abou Takiyé à « L’OLJ » : « Nous ne sommes pas des gens de la Jahiliya pour avoir recours à la vendetta »

« La vengeance est un plat qui se mange froid. » Un dicton tristement célèbre dont le Liban a vécu l’illustration hier, avec le meurtre d’un membre du clan Hojeiry par le père de Mohammad Hamiyé, un soldat exécuté par le Front al-Nosra en 2014. Un incident qui, une fois de plus, ravive les tensions entre les communautés sunnite et chiite, faisant craindre un regain de tensions dans la région.

Zeina ANTONIOS

La région de Baalbeck-Hermel est en ébullition depuis hier, suite au meurtre de Hussein Mohammad Hojeiry (20 ans), neveu du très médiatisé cheikh sunnite Moustapha Hojeiry, alias Abou Takiyé, interlocuteur principal du Front al-Nosra qui avait kidnappé en août 2014, avec des membres du groupe État islamique, des militaires libanais dans le jurd de Ersal. Hojeiry a fait partie des médiateurs dans les négociations avec al-Nosra, qui ont abouti à la libération en décembre 2015 des soldats otages de ce groupe (neuf soldats sont toujours otages de l’EI).

Le meurtrier de Hussein Mohammad Hojeiry n’est autre que Maarouf Hamiyé, père d’un des soldats exécutés par al-Nosra peu après leur rapt. Après l’assassinat de son fils, le militaire chiite Mohammad Hamiyé, son père avait promis, dans plusieurs interventions télévisées, de venger sa mort. Originaire de Taraya, dans la Békaa, Maarouf Hamiyé a contacté hier la chaîne OTV et a confessé son meurtre en direct. Le corps de la victime a été retrouvé sur la tombe du soldat Hamiyé, dans le cimetière de son village natal. Maarouf Hamiyé a par ailleurs menacé de mort Abou Takiyé et son frère Abou Ali Asfour ainsi que Ali Hojeiry, ancien président du conseil municipal, dit Abou Ajiné, et indiqué qu’il ne se rendra pas aux forces de sécurité. Il était toujours en fuite hier soir.

 

« Les Hojeiry connaissent Maarouf Hamiyé et sa bande »
Contacté par L’Orient-Le Jour, Ali Hojeiry a refusé de s’exprimer. Moustapha Hojeiry, lui, a accepté de se confier et indiqué que le défunt était « un étudiant qui ne s’est jamais occupé de politique ». « Il y a des armes entre les mains des gangs sous couvert de soutien à la résistance. Ce sont ces armes qui interdisent l’élection d’un président de la République », a-t-il souligné, en allusion à la proximité du clan Hamiyé avec le Hezbollah. « Les Hojeiry connaissent Maarouf Hamiyé et sa bande », a-t-il dit avant d’ajouter : « Nous n’avons pas de problèmes avec les autres clans et les habitants de la région. »
Interrogé sur de possibles répercussions ou vendettas de la part du clan Hojeiry, Abou Takiyé a répondu : « Nous ne sommes pas des gens de la Jahiliya pour avoir recours à la vendetta. Au Liban, il y a des forces de sécurité qui effectueront leur travail. Nous demandons à ce que Maarouf Hamiyé soit arrêté. » Lors d’un entretien téléphonique hier soir avec la chaîne MTV, Moustapha Hojeiry s’est défendu d’être proche du Front al-Nosra et a précisé qu’il était entré en contact avec le groupuscule islamiste à la demande de l’État dans le but de débloquer le dossier des soldats enlevés en 2014.
Pour le cheikh Yahia Breidi, membre du Comité des ulémas de Ersal, « l’affaire est entre les mains de l’État ». Il s’est toutefois montré moins rassurant qu’Abou Takiyé quant à de possibles actes de vengeance. « Nous ne pouvons pas prédire les réactions des gens, surtout si les forces de sécurité n’arrêtent pas les meurtriers, ainsi que les responsables des tirs de joie dans la région après l’annonce de la mort de Hussein Hojeiry. Ils peuvent très bien décider de se venger et les clans disent souvent que le temps permet de prendre sa revanche », a-t-il expliqué. « Hussein Hojeiry n’est pas impliqué dans le meurtre de Mohammad Hamiyé. Ce dernier a été tué ailleurs qu’ici », a souligné le cheikh Breidi qui a révélé que les forces de sécurité sont en état d’alerte dans la région et les habitants sur leurs gardes.
Le courant du Futur s’est empressé de condamner le meurtre « du jeune innocent Hussein Hojeiry », indiquant dans un communiqué qu’il s’agit d’une « vengeance qui ne ramènera pas les soldats tombés en martyrs à leurs familles ». « Nous mettons en garde contre le danger de se laisser entraîner dans une mentalité de vendettas et demandons de s’accrocher à l’État et ses institutions », a ajouté le texte.

 

Non à la discorde sunnito-chiite
Le mufti du Conseil supérieur chiite, Abbas Zogheib, a pour sa part appelé les différentes parties politiques « à la retenue et à ne pas se laisser tenter par les conflits ». « Ce qui s’est passé est dû à l’absence de l’État et son incapacité à protéger les citoyens et les membres des services de sécurité. Laisser le criminel Abou Takiyé en liberté a conduit à la réaction que nous avons vue et dont nous demandons qu’elle ne soit pas réitérée, surtout à l’encontre de personnes qui ne sont pas liées à l’enlèvement et à la mort des militaires dans le jurd de Ersal », a-t-il déclaré.
Pour le député du Hezbollah de Baalbeck-Hermel, Hussein Moussaoui, il n’y a pas de risque de discorde sunnito-chiite à la suite de cet incident. « Plusieurs parties arabes, occidentales ou mêmes israéliennes ont essayé de jouer sur la discorde entre sunnites et chiites, mais les gens sont assez conscients des dangers d’une telle discorde et tout ce qui se passe reste assez contenu », a-t-il estimé. « Il s’agit d’un homme qui a réagi à la mort de son fils. Si l’État était présent, les militaires n’auraient pas été kidnappés en premier lieu. Beaucoup de personnes sont responsables de la fragilité de l’État, mais l’armée a été parfaite. Maarouf Hamiyé a agi en sa qualité de père affligé. L’État a honte face à lui parce que son fils a été tué en tant que militaire », a-t-il ajouté, avant de demander à l’État de « jouer son rôle avec sagesse ».
Réagissant aux propos selon lesquels les armes utilisées par les meurtriers sont protégées sous couvert de résistance contre Israël, M. Moussaoui a indiqué que la résistance défend tous les Libanais face aux Israéliens et aux takfiristes. « La résistance nous représente tous », a-t-il dit, mis à part ceux qu’il a qualifiés de « malades mentaux ». « Tout homme objectif et honorable sait que la résistance défend tous les Libanais. Les takfiristes ont menacé de tuer tout le monde au Liban. Ils l’ont fait en Syrie et en France et s’ils pouvaient le faire aux États-Unis, ils n’hésiteraient pas. Nous sommes tous menacés par Israël et les takfiristes », a-t-il déclaré à L’OLJ.