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Hariri appelé à mener « une opposition » face au Hezbollah

 

Sandra NOUJEIM 

À moins d’une semaine de la prochaine séance électorale et de l’escalade fixée par le bloc du Changement et de la Réforme, le Hezbollah met un zèle particulier en faveur du général Michel Aoun, invitant le courant du Futur à soutenir sa candidature à la présidence. Le parti chiite assortit son plaidoyer d’un appel au dialogue adressé au chef du courant du Futur, Saad Hariri, afin de résoudre « en peu de temps les détails liés à la présidentielle ». L’appel du parti est donc à une solution globale, qui inclut entre autres la désignation de Saad Hariri à la présidence du Conseil, en contrepartie de l’élection de Michel Aoun à la présidence de la République.

Même si certains milieux du 14 Mars restent sceptiques quant à la disposition véritable du Hezbollah à élire le général Michel Aoun, certains indices indiqueraient que le parti chiite serait réellement prêt à élire le leader chrétien dans le cadre d’une entente globale. En effet, que Saad Hariri cautionne l’élection de Michel Aoun représenterait, d’emblée, une renonciation à attaquer de plein front la question fondamentale des armes du Hezbollah. Maintenir cette question hors du débat serait crucial pour le parti chiite, surtout au regard des récents développements en Syrie : exclu des pourparlers russo-américains sur la Syrie, l’Iran n’est pas près de décrocher un rôle de décideur-clé dans la région. Selon l’agence d’information al-Markaziya, qui cite des sources occidentales, l’un des signes de cette « marginalisation » serait la réduction progressive, depuis quelques mois, de l’effectif militaire iranien en Syrie. En outre, selon un rapport diplomatique occidental portant sur l’accord de trêve russo-américain, et repris hier par le quotidien koweïtien al-Anbaa, « la tendance dominante chez les puissances occidentales est de lier l’avenir du Hezbollah à celui du président syrien Bachar el-Assad ». L’incertitude autour du rôle iranien en Syrie et dans la région se traduirait au Liban par une certaine inaptitude du Hezbollah, pour l’heure, à tracer clairement sa feuille de route politique.
Mais de même que l’Iran ne serait pas prêt à se laisser écarter de la solution en Syrie, le Hezbollah n’a pas l’intention de rentrer défait au Liban.
En jetant la balle dans le camp de Saad Hariri, devant lequel il fait miroiter la candidature de Michel Aoun comme une opportunité de sortie de crise, le parti chiite feint de tendre la main au courant du Futur et s’étonne que celui-ci n’attrape pas la balle au bond. Les médias du 8 Mars laissent entendre que Saad Hariri n’a nul intérêt à décliner l’offre du Hezbollah, étant donné la prétendue tiédeur de ses rapports avec l’Arabie saoudite, les difficultés financières qu’il encourt et les divergences internes au sein du courant du Futur. Une campagne qui aurait pour objectif, en somme, de présenter le leader du courant du Futur dans une situation pire que celle où se trouve actuellement le Hezbollah.
Mais cette politique de la main tendue dont le parti chiite use pour s’extraire des situations de crise s’accompagne nécessairement d’une entreprise d’intimidation par les armes (comme cela a été le cas le 7 mai 2008).
Cette dualité politico-militaire est la même qui sous-tend l’appel du parti chiite à une solution globale qui s’articule autour de la candidature de Michel Aoun. En la présentant comme « seule issue » au déblocage, le Hezbollah place Saad Hariri devant l’alternative suivante : soit la conclusion d’un accord global dans le cadre du système libanais tel qu’on le connaît, soit le retournement contre ce système. Un retournement auquel prélude le discours chrétien relatif au « respect du pacte national », véhiculé par le camp aouniste : l’escalade que celui-ci prévoit ne serait pas étrangère à l’agenda du Hezbollah, même si les milieux du 8 Mars veillent à s’en démarquer.
C’est en prenant compte de la possibilité d’un nouveau coup de force du Hezbollah que Saad Hariri envisagerait actuellement ses options. De sources proches du courant du Futur, le leader sunnite ferait face à « trois scénarios-suicides », trois options qu’il semble percevoir avec une même appréhension : la première est de maintenir son appui à la candidature du député Sleiman Frangié, ce qui impliquerait un prolongement indéfini du vide ; la deuxième est d’accepter l’offre du Hezbollah pour une sortie de crise, quitte à payer de sa popularité et de sa crédibilité ; la troisième est d’entrer en confrontation avec le parti chiite, ce qui ne serait pas sans porter de réelles menaces à la stabilité du pays.
Au sein du courant du Futur, les avis se répartiraient entre deux tendances : celle d’adhérer à la proposition du Hezbollah et celle, radicalement opposée, de se positionner carrément contre le parti chiite et d’attaquer de plein front son chantage sur la présidentielle, rapporte une source du 14 Mars à L’OLJ.
Ceux qui soutiennent Michel Aoun estiment que la désignation de Saad Hariri à la présidence du Conseil renflouerait ce dernier politiquement à la faveur de ses rapports avec l’Arabie saoudite. Ceux qui, au contraire, rejettent l’option Aoun, invitent leur leader à rompre une fois pour toutes avec la politique de temporisation avec le Hezbollah et à mener un « nouveau mouvement d’opposition » sur la base des principes du 14 Mars 2005 (sans forcément se retirer du gouvernement). Parce que c’est seulement en résistant à l’influence du Hezbollah et sa perversion du système libanais et de ses textes que Saad Hariri aurait le plus de chances de se rallier les décideurs régionaux et internationaux, et de réchauffer ses rapports avec Riyad. Et pour cause : avant que l’équilibre des forces ne soit rétabli au Liban, l’Arabie continuera de considérer ce pays comme livré tout entier à la mainmise iranienne.
Même si la décision de Saad Hariri n’est pas encore tranchée ni dans un sens ni dans l’autre, une source du 14 Mars croit savoir que « son choix naturel sera de ne pas soutenir la candidature de Michel Aoun ni de se résigner au chantage du Hezbollah ». En outre, selon nos informations, M. Hariri prévoirait de se rendre incessamment en Arabie saoudite où il doit s’entretenir avec le vice-prince héritier Mohammad ben Salmane.
En parallèle, il s’ébauche au Liban un embryon de dynamique de résistance à l’état dégradant de paralysie induit par le Hezbollah. La célébration hier à Saïfi du 16e anniversaire de la déclaration des évêques maronites de septembre 2000, qui avait donné le coup d’envoi d’une dynamique d’opposition plurielle à la tutelle syrienne, avec la fondation du Rassemblement de Kornet Chehwane et du Forum démocratique, s’inscrit dans ce cadre. Cet événement, marqué par le parrainage exceptionnel du patriarche Raï par le biais de la présence de l’ancien mentor de Kornet Chehwane, Mgr Youssef Béchara, a été l’occasion de retourner aux fondamentaux et d’exprimer le refus pluriel et transcommunautaire des discours de haine et de repli identitaire, calqués sur le modèle communautariste du Hezbollah, et qui pavent la voie à un retournement contre le système.