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Treize responsables politiques convoqués par la justice pour des impayés à EDL

L’information est inédite : entre douze et treize responsables politiques qui refusent depuis des années de payer leurs factures à Électricité du Liban (EDL) seront entendus mardi prochain par la justice. C’est que qu’affirme à L’Orient-Le Jour une source judiciaire qui souligne que ces officiels – « qui appartiennent à tous les camps politiques, toutes communautés confondues » – doivent à l’Etat « des sommes faramineuses, soit plusieurs millions de livres libanaises ». La source précise que les personnalités concernées seront entendues mardi prochain par le procureur financier, Ali Ibrahim. « À défaut, indique la source, un mandat d’amener sera émis contre eux. »

La justice avait été saisie d’une note présentée il y a plus de trois semaines par le ministre des Affaires sociales, Rachid Derbas. Se faisant l’écho des protestations exprimées par la société civile, M. Derbas avait déploré la situation à laquelle est parvenu le secteur de l’électricité, se demandant ce que fait EDL pour rectifier le tir.
Suite à la note transmise au procureur financier de Beyrouth, le ministre a accusé le directeur général d’EDL, Kamal Hayek, de dilapidation de fonds. La réponse n’a pas tardé à venir. EDL a ausitôt publié un communiqué précisant que « la chute dans l’alimentation de Tripoli en courant électrique, notamment dans la nuit du 17 au 18 août, est due à l’interruption de l’importation du courant à partir de la Syrie ». Le texte a mis aussi l’accent sur « le retard dans la mise en place de projets qui avaient été adoptés en 2010 en Conseil des ministres ; ces projets n’ont pas vu le jour pour des raisons indépendantes de la volonté d’EDL et du ministère de l’Énergie. Certains élèvent la voix en disant que le déficit d’EDL dépasse les deux milliards de dollars. Ces mêmes individus savent très bien que ce déficit est majoritairement dû au prix du carburant », concluait le communiqué.
La source judiciaire explique que la convocation des responsables politiques survient après que la justice eut entendu M. Hayek dans cette affaire. Ce dernier a été sommé par le juge de remettre la liste des personnes s’étant abstenues de payer leurs factures. Le juge avait « constaté » que certaines d’entre elles avaient « entre-temps payé », mais que « treize doivent toujours de l’argent à l’État », précise encore la source.

La forte symbolique de la convocation des responsables politiques mis en cause, qui coïncide avec les accusations de corruption adressées aux gouvernants par des groupements de la société civile, ne saurait toutefois occulter le fait que l’agonie du secteur de l’électricité est également provoquée par une multitude d’autres facteurs, dont les impayés dont sont responsables plusieurs régions libanaises qui s’abstiennent, depuis des années, de régler leurs dus. Bénéficiant d’une protection politique, ces régions ont partiellement contribué au déficit du secteur et à l’accroissement du coût du service. À cela, il faudra ajouter le dysfonctionnement au niveau de la collecte des factures, corollaire du problème de l’installation des compteurs dits « intelligents » censés rationaliser la collecte des factures et qui tardent à venir.
Corruption, mauvaise gestion et rivalités politiques
Dans son dernier rapport semestriel sur l’économie libanaise, la Banque mondiale a d’ailleurs carrément parlé « de gestion calamiteuse » du secteur de l’électricité.
Sous-performant depuis des décennies et classé à l’avant-dernier rang mondial en termes de qualité de service par le Forum économique mondial, ce secteur et sa gestion constituent un handicap considérable pour l’économie du pays, constate la Banque mondiale, comme nous l’écrivions dans ces colonnes en mai dernier.

Dans son rapport, la Banque mondiale rappelle que le déficit structurel de la production électrique nationale atteignait ainsi 36 % de la demande totale en 2013. Si « rien n’est fait d’ici à 2018 », alertent ses auteurs, cette proportion pourrait atteindre les 50 %. Pour l’organisation internationale, la responsabilité principale de cette situation incombe à la gestion politico-confessionnelle du secteur : « La mauvaise qualité du service délivré peut être attribuée à la corruption, une mauvaise gestion, des rivalités politiques reflétant souvent des fractures confessionnelles ainsi que des conflits sociaux permanents où les travailleurs et les fournisseurs de services sont protégés par leurs responsables politiques respectifs, et n’ont donc de comptes à rendre qu’à ces derniers. »

« Lorsque l’approvisionnement électrique est chaotique et que ce service est excessivement cher, la croissance économique tend à ralentir voire à se contracter », souligne aussi la Banque mondiale, qui rappelle que la sous-performance du secteur est à l’origine de nombreuses iniquités. D’abord parce que les contribuables et clients payant effectivement leur facture subventionnent de fait la consommation de ceux qui ne sont pas facturés.
Ensuite, du fait de l’inégalité sociale et territoriale de la distribution: « Le rationnement de l’électricité est très proriches, les régions les plus pauvres étant privées d’électricité publique jusqu’à 12 heures par jour, tandis que les plus riches comme Beyrouth ne sont soumises (en règle générale) qu’à 3 heures de panne quotidienne », indique le rapport.