IMLebanon

Notre devoir de nation

EN TOUTE LIBERTÉ

 

Il ne faut plus jouer. Il faut remplir notre devoir de nation. Le chef de l’État l’a clairement affirmé dans son discours devant le corps diplomatique, les leçons que la guerre nous a apprises, il faut nous efforcer d’en diffuser les principes auprès de tous les États arabes tentés par la violence. Et la première de ces leçons, c’est qu’il faut donner la priorité absolue à la résolution pacifique des conflits, même s’il est normal de se défendre. « On n’a rien appris de la guerre tant qu’on n’a pas appris à haïr la guerre », a-t-on pu dire.
Providentiellement préservé en ce moment de la violence, le Liban ne devrait pas se contenter de s’en féliciter, mais se rappeler qu’il ne le fut pas toujours. Bien au contraire, tout en défendant ses frontières, le Liban, ou plutôt la diplomatie libanaise, devrait s’ingénier aujourd’hui à se faire l’inlassable avocat d’une réduction de la violence, là où cela est possible. Ce faisant, le régime se démarquerait du Hezbollah, qui prête assistance au régime syrien, et perpétue, ce faisant, le cycle de la violence. La dynamique de la modération dont nous sommes témoins, en ce moment, sur le plan intérieur, pourrait inspirer d’autres et apaiser les conflits, au lieu de les aiguiser.
La mission diplomatique du Liban dans le monde arabe pourrait même se doubler d’une mission culturelle, historique, voire spirituelle et déborder le monde arabe, pour atteindre une Europe en mal de vocation. Dans le monde arabe, en effet, apaiser les conflits politiques pourrait se révéler insuffisant, si cet apaisement ne se double pas de l’instauration d’un dialogue en profondeur entre les deux grandes familles de l’islam, de manière à en transcender les querelles fondatrices. Et qui, mieux que l’élite intellectuelle libanaise, est en mesure de le faire ? Parmi nous vivent des hommes d’exception qui pourraient donner là toute leur mesure.
La mission du Liban pourrait aussi déborder les frontières du Machrek et du monde arabe, et toucher le bassin méditerranéen et l’Europe. S’exprimant au forum économique de Davos (Suisse), le secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, a affirmé hier : « Il faut donner une âme à l’Europe. » Par ces mots, le secrétaire d’État du Saint-Siège invitait l’Union européenne à revenir à l’esprit des pères fondateurs « qui voulaient une Europe des peuples et pas seulement du commerce et de l’économie ». Le Liban ne peut que souscrire à un tel appel, à l’heure où l’Union européenne ne cesse de le chapitrer sur la question des réfugiés, n’invoquant les droits de l’homme que pour freiner le flux migratoire des réfugiés et l’éloigner de ses côtes, coûte que coûte.
Par ailleurs, la « menace islamiste », à mesure qu’elle se radicalise et se diversifie, en devenant aussi culturelle et politique que militaire, est franchement en train de provoquer un réveil de l’Europe chrétienne. Mais il existe en fait deux sortes de réveils. L’un spirituel, qui est réappropriation de la foi et ouverture à l’autre, l’autre identitaire, qui est radicalisation des croyances et fermeture à l’altérité.
Or nous avons fait et continuons à faire, au Liban, l’expérience de ces deux réveils, et c’est en gardiens de cette mémoire et de nos affinités avec l’Europe, et singulièrement avec la France, qu’il est possible de placer un mot à ce sujet.
« Nous avons oublié comment nous avons vaincu », a pu dire un jour Lech Walesa, l’homme qui a réussi à secouer le joug du communisme en Pologne. L’Europe doit se rappeler que, quels que soient les programmes, sans le souvenir de ses racines chrétiennes, sans une vision et une volonté de paix, rien de grand ne se fera en elle, ni entre elle et le monde. La Pologne a secoué le joug soviétique par la foi. Le charbon et l’acier de la Ruhr ont été mis en commun par la foi. L’Europe est née dans le creuset de la souffrance et seuls des hommes de foi savent le prix de la guerre et de ses indicibles souffrances.
Or entre l’Europe et bon nombre de pays du « Sud », dont le Liban, il existe aujourd’hui un hiatus culturel et spirituel. Nous ne parlons plus la même langue. Nous ne parlons plus du même homme. L’Europe postmoderne se passe tranquillement de Dieu au point d’en être devenue « anomique » (le mot est de Jean-Claude Guillebaud) alors que nous autres nations du « Sud » cherchons encore à concilier foi et raison. L’Europe devrait y prendre garde, en tenir compte, se repenser et nous aider à le penser. Car nous aussi, nous voulons une Europe « des peuples » et non seulement des réfugiés, « du commerce et de l’économie ».