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Pas de percée, mais une progression sérieuse : la primauté de Taëf et de la présidentielle consacrée

Jeanine JALKH

Qualifié de « dernière cartouche » et de rempart ultime pour les institutions en voie d’effondrement, le dialogue national qui a repris hier a tout de même abouti à une entente de principe autour de deux points fondamentaux : la consécration de la Constitution de Taëf, désormais considérée comme intouchable, et la primauté de la présidence de la République par rapport à tout autre acte constitutionnel, c’est-à-dire aux élections législatives.
Même si ces deux points peuvent paraître une lapalissade pour le commun des mortels, cette avancée d’une forte symbolique pourrait être « porteuse d’espoir » selon certains, à moins qu’elle ne reste lettre morte, ou une simple manœuvre pour sauver la face d’une classe politique en mal de crédibilité.
Réunis sous la houlette de Aïn el-Tiné, les différents protagonistes politiques sont convenus de ces deux lignes directrices, même si aucune percée n’a été enregistrée sur leur concrétisation, tant au niveau de la présidentielle que de la loi électorale. Deux sujets de désaccord qui ont donné lieu, par moments, à des échanges acerbes, sinon à des rengaines en matière de mode de scrutin notamment.
L’annonce, faite publiquement à l’issue de ce premier round par le député du Hezbollah, Ali Fayad, des deux « points d’accord » auxquels ont convenu les participants, en dit long sur cette « progression » qui s’est opérée plus « dans la forme que dans le fond » dira à L’Orient-Le Jour une source proche du dossier. En effet, M. Fayad a clairement assuré que les parties « sont convenus d’un accord autour de deux points : tout d’abord la consécration de Taëf (comme texte de référence unique et fondamental). En second lieu, l’idée que toute entente, quelle que soit la modalité de son application, devra être nécessairement précédée par l’élection présidentielle ».
Autrement dit, il ne serait plus question, du moins théoriquement, de la célèbre « constituante » qui avait hanté durant de longs mois le camp du 14 Mars. Cela sous-entendrait également que le « panier » ou « package deal » que le Hezbollah avait à un moment donné placé comme condition préalable à toute solution politique durable n’était plus incontournable. Une hypothèse que confirme à L’OLJ une source de Aïn el-Tiné, qui croit savoir que le Hezbollah « serait ainsi prêt à délaisser l’idée du package deal ». « Il n’a plus le choix, il faut bien avancer », insiste la source.

« Le principe même… »
Le chef du Parlement, Nabih Berry, a donné le ton à l’ouverture de la séance : « Il est nécessaire de nous entendre, au vu de la gravité de la situation sur le double plan local et régional, afin de conclure un accord de Doha libanais, à commencer par la présidentielle », a-t-il déclaré, en référence à l’accord conclu entre toutes les forces politiques en 2008 ayant abouti à la tenue des élections présidentielle et législatives. M. Berry a également mis en garde contre « le pire », insistant sur « les menaces qui pèsent sur le pays au plan économique et financier ».
Pour les milieux des Kataëb, la reconnaissance définitive de Taëf et de la primauté de la présidentielle constituent sans aucun doute « un pas qualitatif qui nécessite toutefois d’être concrétisé à l’avenir ». Même le chef du PSP, Walid Joumblatt, qui a quitté Aïn el-Tiné bien avant les autres, a réussi à repérer « des éléments positifs » à cette réunion, en dépit des « obstacles qui subsistent ». « L’important est de poursuivre cet échange, car le principe même du dialogue est essentiel », a-t-il déclaré, assurant cependant que la situation demandait « un peu de patience » pour qu’elle s’améliore.
Certes, les attentes étaient « un peu trop élevées » à la lumière des résultats que cette première journée a produits et les empoignades entre les faucons du Hezbollah et du courant du Futur, inévitables.

Altercation entre Raad et Siniora
Accusant le parti chiite et ses alliés politiques d’« avoir paralysé la Constitution en empêchant l’élection d’un président », le chef du bloc du Futur, Fouad Siniora, a tenu à rappeler « que les deux candidats (à la présidentielle) étaient tout de même du 8 Mars ». La réponse du représentant du Hezbollah, Mohammad Raad, ne s’est pas fait attendre : « Vous paralysez la Constitution quand vous le désirez et vous nous demandez de l’appliquer quand cela vous arrange. » Et d’accuser le courant du Futur et ses représentants au pouvoir d’avoir failli au respect de la Constitution depuis 1992 et surtout depuis les accords de Doha.
M. Raad a saisi l’occasion pour réitérer son invitation à l’adresse des récalcitrants à élire le candidat favori du parti chiite, Michel Aoun.
Le différend autour de la présidentielle s’est étendu à la loi électorale et aux modes de scrutin. Alors que M. Berry a réitéré sa préférence pour le proportionnelle, M. Siniora a estimé que ce mode de scrutin était « compliqué et difficile à comprendre ». Ce à quoi le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, a répondu en mettant en avant l’expérience « positive » des élections internes qui ont eu lieu au sein du CPL, sur la base du principe « un électeur une voix ».
Le débat autour de la loi électorale a soulevé, indirectement, une seconde problématique, celle de savoir si l’entente autour du texte à adopter devait se faire à la table de dialogue, ou prendre son cours normal, au sein des institutions, à savoir au Parlement. L’ancien chef de gouvernement, Nagib Mikati, était du premier avis, suggérant de passer en revue toutes les propositions lors du dialogue pour que l’une d’entre elles puisse être par la suite entérinée par les commissions « qui, à ce jour, ont prouvé leur incapacité à trancher ». De son côté, M. Berry a brandi le spectre de l’application de la loi de 1960, en vigueur aujourd’hui, si aucune entente n’aurait émergé entre-temps.
Ce à quoi Samy Gemayel a rétorqué en faisant valoir la nécessité de ne pas saboter le travail des institutions, en l’occurrence le pouvoir législatif, avant de proposer un vote au sein de l’hémicycle pour choisir, à la majorité des voix, l’un des textes en cours d’examen.
La loi électorale devra d’ailleurs figurer à la tête de l’ordre du jour du nouveau round de discussions, aujourd’hui, et la décentralisation et la création du Sénat demain jeudi, troisième et dernier jour de ce marathon du dialogue.
Cet ordre du jour a été critiqué par le ministre d’État aux Affaires parlementaires, Michel Pharaon, qui a estimé que ces deux derniers sujets « s’inscrivent dans un processus à long terme ». Selon lui, la priorité est pour le moment aux questions relevant de la stabilité sécuritaire ainsi qu’aux dossiers « conflictuels » tels que la stratégie de défense et les réfugiés, et qui devraient, « en cas d’accord, paver la voie à l’élection présidentielle ».