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Le gouvernement tient bon face à une crise des déchets partie pour durer

 

LA SITUATION

 

La crise des déchets est bien partie pour durer, reconnaissent des sources ministérielles. Les tensions étaient d’ailleurs palpables, hier dans l’après-midi, au sein de la commission ministérielle ad hoc chargée de résoudre le dossier des déchets, qui doit se réunir une nouvelle fois aujourd’hui, sous la présidence du Premier ministre. Le problème de trouver des terrains qui servent de décharges temporaires aux déchets de la capitale et du Mont-Liban, avec le moins de risques pour l’environnement et la santé, a été en principe résolu : une liste de carrières désaffectées, « désertes et éloignées des lieux d’habitation et des terrains agricoles », a été établie depuis lundi, précise une source de la commission. Il s’agit des carrières d’Abou Mizan, de Majdel Tarchiche et du jurd qui s’étend du Kesrouan à Jbeil, et qui relèvent du caza du Kesrouan, rapporte notre correspondante Hoda Chédid.

Néanmoins, aucune localité n’est disposée pour l’instant à accueillir les déchets de la capitale. Et surtout, aucun parti politique n’est prêt à inciter les régions qui relèvent de lui à accepter le plan prévu. Le Courant patriotique libre a ainsi refusé d’intervenir pour faciliter l’usage de carrières dans le Metn et le Kesrouan, et ce refus s’est confirmé lors de la réunion de la commission ad hoc hier.
Cette appréhension d’accueillir « les déchets des autres » est, certes, liée à l’absence d’un plan durable et efficace de l’État pour la gestion des déchets. Mais cette attitude cache aussi des sensibilités confessionnelles de plus en plus manifestes, que devait dénoncer hier le président de la Chambre Nabih Berry devant ses visiteurs.

Résultat : les déchets de la capitale administrative sont transportés à La Quarantaine, près de minoteries, en vertu d’un plan d’urgence (mais qui promet de durer), annoncé hier par le mohafez de Beyrouth. D’autres parcelles, aux capacités restreintes, relevant de la municipalité de Beyrouth, sont utilisées à cette fin. Les dépôts de Sukleen sont déjà saturés avec près de 22 000 tonnes de déchets amassés. La décharge improvisée depuis plusieurs jours déjà près de l’AIB, pour accueillir les ordures de la banlieue sud, n’est plus utilisée depuis hier. Après les mises en garde des responsables de l’aviation, six compagnies aériennes ont notifié hier les autorités de la suspension de leurs vols en destination de Beyrouth. Des informations démenties par le ministre du Transport, Ghazi Zeaiter, qui les a associées à « un moyen d’exercer une pression sur la commission ministérielle », rapporte notre correspondante.

L’urgence de la situation a incité les présidents des conseils municipaux de Kesrouan-Ftouh, réunis hier au siège de leur fédération à Zouk Mikael, à former une commission de sept municipalités, pour tenter une entente sur des décharges potentielles, sachant que leur caza produit 320 tonnes de déchets par jour.
Rien ne montre toutefois que la volonté politique de résoudre ce dossier fait l’unanimité entre les parties. Les réflexes communautaires des bases populaires trouvent une instrumentalisation politique, dont les milieux du 14 Mars renvoient la responsabilité directe au CPL.

« Allah, Nasrallah… »
Mais cette lecture de la crise des déchets sert paradoxalement la stratégie du Hezbollah que dénoncent des sources du 14 Mars, celle de vouloir camoufler le conflit sunnito-chiite par un conflit sunnito-chrétien provoqué et pour le moins artificiel.
Le ministre (hezbollahi) de l’Industrie Hussein Hajj Hassan devait lancer hier, sur un ton sarcastique, en se rendant à la réunion de la commission ad hoc : « Nous sommes plongés dans une crise sans fin. Que chaque ménage construise son propre dépotoir et aménage un incinérateur sur son toit. »
S’agit-il là d’un cri de désespoir, caché derrière un trait d’esprit ou, au contraire, d’un aveu implicite de l’influence du parti chiite sur le cours des événements ?

Que la banlieue sud soit submergée par les ordures ménagères est un fait. Comme le sont aussi les cris « Allah, Nasrallah… », lancés par des motards alors qu’ils balançaient des sacs-poubelles devant le domicile du Premier ministre Tammam Salam et de l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, dans la nuit de lundi à mardi. Ces « voyous », tels que les a décrits le ministre Ali Hassan Khalil, seraient-ils des « partisans indisciplinés », comme tendent à le croire certains milieux politiques, y compris du Futur ? Ou bien ces scènes trahissent-elles une manipulation politique, encore incertaine, du dossier des déchets, susceptible par excellence de s’amplifier au point de produire un changement dans la configuration politique nationale ?
Le ministre des Télécommunications, Boutros Harb, qui a rendu hier visite au Premier ministre, a appelé à « ne pas utiliser le dossier des déchets comme moyen de pression et de chantage politique ».

Le CPL s’en lave les mains
Des milieux proches du Grand Sérail avaient d’abord confié, en cours de journée, que le Conseil des ministres ne tiendrait pas sa réunion d’aujourd’hui. Or la réunion a été, au final, confirmée en soirée. Il est probable et naturel que le président Salam évoque le dossier des déchets à l’ouverture de la séance. Il est attendu, en contrepartie, qu’il se heurte au même refus des ministres aounistes d’en débattre, leur priorité étant toujours fixée à l’étude du mécanisme de décision.

Après avoir empêché le gouvernement de plancher sur un plan sérieux et durable pour la gestion des déchets, voilà que le CPL tient des discours de solidarité avec le Premier ministre. L’ancien ministre Sélim Jreissati a ainsi appelé ce dernier hier « non pas à inventer de nouvelles formules, mais à revenir à la méthode du consensus qu’il avait choisie à la base par instinct patriotique, et nous nous tiendrons alors à ses côtés ». Il a souhaité en outre que « le Premier ministre prenne conscience qu’il a été abandonné par ses alliés, face aux déchets, après les contestations en provenance de Saïda, du Akkar et du député Walid Joumblatt ». La déclaration du ministre Élias Bou Saab, avant la réunion de la commission ad hoc, va également dans ce sens. « Si aucune décision n’est prise, que le gouvernement déclare son échec. Cet échec révélerait une volonté de pousser le Premier ministre à la démission », a-t-il déclaré. Non seulement le CPL se lave ainsi les mains du dossier des déchets, dont il renvoie l’entière responsabilité à Sukleen – donc indirectement au Futur –, mais il se dérobe aussi à toute part de responsabilité dans l’examen d’une solution durable.

Une stratégie similaire est adoptée par le Hezbollah, qui veille depuis deux semaines à multiplier les propos contre la corruption qui mine le pays, à travers l’adoption d’un discours manichéen sur le choix à faire pour les Libanais en substance entre la pureté de la ligne de la résistance et l’impureté des exploiteurs-opportunistes du 14 Mars. Hier, cette tendance était nette dans le discours du député Nawaf Moussawi.
Mais en dépit de tout cela, rien ne menace pour l’instant le maintien du gouvernement, la commission ad hoc ayant contribué à réduire les pressions de ce dossier sur le cabinet.