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Après le coup d’État manqué, tentatives iraniennes et occidentales de prévenir un retour en force d’Erdogan

 

Philippe Abi-Akl

La tentative de coup d’État en Turquie aura-t-elle des répercussions sur la scène libanaise ? La politique étrangère turque n’ayant pas encore été mise à jour, l’on retiendra pour l’instant l’appel téléphonique du président iranien Hassan Rohani à son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan. Une prise de contact perçue par certains comme l’augure d’une nouvelle étape, fondée sur de nouveaux rapports de force, qui pourraient favoriser certains compromis dans la région.
Mais ces rapports de force restent encore à préciser : seront-ils ou non en faveur d’Erdogan ?
Pour ceux qui estiment que ce dernier est sorti « fragilisé » de la tentative de putsch, cet affaiblissement pourrait faciliter la mise en œuvre d’un nouvel accord russo-américain sur la Syrie. Fruit des récents pourparlers à Moscou entre le secrétaire d’État John Kerry et son homologue russe Sergei Lavrov, cet accord a été entériné à la veille de la tentative de coup d’État en Turquie. En vertu de clauses non révélées, les deux parties russe et américaine se seraient réparti les rôles dans la consolidation du cessez-le-feu dans le nord de la Syrie – région stratégique pour la Turquie : la Russie aurait pris à sa charge de trancher la bataille à Alep et les zones environnantes, alors que les États-Unis devraient s’atteler à expulser de Raqqa et de ses environs les groupes terroristes armés. Avec cet accord en toile de fond, un diplomate occidental estime que le coup d’État manqué a terni l’image de toute-puissance d’Erdogan, reléguant son rôle au second plan au niveau des régions syriennes limitrophes de la Turquie. Mû par le double enjeu de réprimer l’État islamique et les groupes radicaux qui menacent ses frontières, l’État turc a pour enjeu stratégique de maintenir dans le Nord syrien une influence vitale.
Alors que l’étau risque ainsi de se resserrer sur la Turquie en Syrie, les puissances occidentales tentent en parallèle de freiner les élans de représailles d’Erdogan à l’intérieur même de son pays contre les possibles auteurs ou complices du coup d’État raté. Ainsi, Washington lui aurait-il demandé de lui soumettre les éléments et documents de l’enquête qui prouvent l’implication dans l’opération de Abdullah Gulen, en exil aux États-Unis, pointé du doigt par le président turc.
En outre, des responsables occidentaux ont réclamé à ce dernier de faire son ménage interne dans le respect de la loi et des droits de l’homme, assortissant leurs souhaits d’une mise en garde contre un éventuel retour à la peine de mort et ses effets sur les chances de la Turquie d’adhérer à l’Union européenne. Autrement dit, le président turc n’aurait pas « carte blanche » dans la gestion de la crise interne, selon un avis qui lui est critique. L’obsession occidentale serait de ne pas voir le régime démocratique turc se muer en nouveau totalitarisme dans la région.
Il est en revanche un autre avis qui défend une force recouvrée de Erdogan, au niveau régional, à la suite du coup d’État raté. En effet, la résistance de son régime et le vaste appui populaire ayant circonscrit la tentative de le renverser auraient « choqué » les forces régionales de la moumanaa. Un choc qui pourrait provoquer une réorientation iranienne à faciliter la résolution politique des crises régionales pendantes, de manière à anticiper un éventuel retour en puissance de Erdogan. Surtout que, de l’avis d’un expert militaire, c’est la descente massive de partisans, sympathisants, voire rivaux politiques traditionnels d’Erdogan, qui serait la réelle raison de l’échec du coup. Un échec qui aura consolidé désormais le pouvoir politique en Turquie et porté un coup définitif au potentiel de règne des militaires.
En somme, l’on retiendra des lectures divergentes sur la montée en puissance d’Erdogan, les tentatives (occidentales et/ou iraniennes) de limiter sa marge d’action, quel que soit l’avis mélioratif ou péjoratif que l’on est amené à porter sur le président turc.