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Du bruit pour presque rien…

Yara ABI AKL |

Les séances marathons du dialogue national qui se sont tenues pendant trois jours à Aïn el-Tiné se sont achevées hier sans aboutir à des résultats concrets dans les thèmes qui figurent à l’ordre du jour, relatifs essentiellement à la crise présidentielle et à la loi électorale.

Réunis sous la houlette du président de la Chambre, Nabih Berry, les protagonistes ont préféré plancher au troisième jour sur la mise en place d’un Sénat qui représenterait les familles spirituelles et sur la décentralisation administrative.
Il a été décidé de former, lors de la prochaine séance, fixée au 5 septembre prochain, une commission de constitutionnalistes qui sera chargée d’étudier les prérogatives du futur Sénat, ainsi que son mode d’élection.
Le ministre du Tourisme, Michel Pharaon, a fait état, lors de son intervention durant la séance d’hier, d’ « appréhensions chrétiennes qui seraient le résultat de l’absence d’un président de la République ». M. Pharaon s’est posé la question de savoir si la décision de discuter du Sénat serait le résultat d’une prise de conscience par les protagonistes de leur incapacité totale à parvenir à des résultats en matière de loi électorale et de présidentielle, ce qui aggraverait, selon lui, lesdites appréhensions.
Le fait d’aborder le sujet du Sénat dans les circonstances actuelles n’a rien d’innocent, soulignent des proches des participants, certains ayant même eu le sentiment d’avoir été placés au pied du mur par M. Berry. Selon ces sources, la décision d’engager le débat sur la mise en place d’un Sénat, dans les circonstances que traverse le pays, comporte un triple risque : le premier est de maintenir de facto la loi électorale de 1960, voire de favoriser une nouvelle prorogation du mandat de la législature. Le deuxième est que ce débat pourrait placer les chrétiens et les druzes dans une situation de confrontation autour de la composition du Sénat. Et le troisième risque se rapporte bien entendu à la présidentielle, qui serait ainsi reléguée au second plan.
D’aucuns estiment d’ailleurs que cette initiative est une preuve de l’échec de la conférence de dialogue qui a substitué à l’examen de la présidentielle celui de la création d’un Sénat.
Cet état des choses a suscité des interrogations sur les raisons derrière ce changement radical observé au niveau de l’ordre du jour alors que plusieurs parties ne font que répéter la priorité à accorder à la tenue de la présidentielle dans les plus brefs délais. Ainsi, en dépit de la consécration du principe de la primauté de l’élection du chef de l’État lors de la séance de mardi, il devient de plus en plus évident, aux yeux de certains participants, que les diverses formations politiques sont en train de « normaliser » la vacance présidentielle.

« Défendre la Constitution »
D’autres sources estiment toutefois normal que, dans un dialogue comme celui de Aïn el-Tiné, le champ des discussions s’élargisse à d’autres sujets, d’autant que la mise en place d’un Sénat n’est pas une modification du système libanais, mais une poursuite de sa mise en œuvre, alors que le pays vit actuellement sous l’égide d’une Constitution « inachevée » dans la pratique.
« La situation actuelle est un moment propice pour discuter la question du Sénat puisqu’il est du devoir quotidien des protagonistes politiques de trouver des solutions qui assureraient le respect du pacte national et la Constitution », souligne une source proche d’une partie prenante au dialogue. Mais elle ne manque pas de réaffirmer la priorité de l’élection d’un nouveau chef de l’État. Le président de la République devrait d’ailleurs superviser lui-même le processus de création du Sénat. Une idée défendue par le chef des Kataëb, Samy Gemayel, qui s’est dit favorable à la réforme du système politique, mais après l’élection d’un président. « Nous participons aux séances de dialogue pour défendre la Constitution et affirmer la priorité de la présidentielle », a déclaré M. Gemayel à sa sortie.
Des sources proches du leader des Kataëb indiquent à L’OLJ que le parti continuera d’assister aux séances de dialogue « puisqu’elles ne l’engagent pas par des décisions contraignantes et pour essayer de court-circuiter les tentatives de plonger la présidentielle et la loi électorale dans l’oubli ». De mêmes sources, on ajoute que « la table du dialogue continuera à tuer le temps tant que le Courant patriotique libre et le Hezbollah boycotteront les élections. Quant aux Kataëb, ils continueront à rappeler l’ordre des priorités aux protagonistes ».
« Tout le monde sait que cette table ronde ne sortira pas le lapin de la présidentielle du chapeau des participants. Ces derniers tuent donc le temps, en attendant une issue au dossier de l’élection d’un président de la République », souligne un observateur engagé.

L’optimisme aouniste
Du côté du 8 Mars, on ne partage pas le même point de vue et on va même jusqu’à lier la mise en place du Sénat à la présidentielle. C’est dans cette logique que s’inscrirait l’intervention de Nabih Berry, dans laquelle il a mis l’accent sur la concomitance de l’examen de la loi électorale et de la question du Sénat.
Le député Hikmat Dib, membre du bloc du Changement et de la Réforme, va plus loin en déclarant : « Nous examinons actuellement un package deal qui resterait dans les limites de Taëf. » « Nous discutons donc d’un Sénat qui serait élu conformément à la loi dite orthodoxe (qui prévoit l’élection par chaque communauté de ses sénateurs) », indique-t-il à L’Orient-Le Jour, avant de poursuivre : « La mise en place d’un Sénat qui serait élu sur une base confessionnelle pourrait ouvrir la voie à une nouvelle loi électorale qui déboucherait sur une Chambre des députés à caractère non confessionnel, respectant toutefois la parité islamo-chrétienne. »
Concernant le lien avec la présidentielle, M. Dib fait savoir que « le pays est aujourd’hui devant une grande opportunité d’entamer un chantier de réformes qui ne devrait pas être entravé ». Selon le député de Baabda, « cette opportunité serait principalement axée sur le respect de la Constitution pour rectifier la représentation des communautés religieuses dans le champ politique (notamment les chrétiens) en élisant celui qui les représente le mieux à la présidence de la République (en l’occurrence Michel Aoun) ».
À son tour, le député Ali Fayad, membre du bloc parlementaire du Hezbollah, a souligné à l’issue de la séance de dialogue hier qu’ « il est inconcevable de discuter de la mise en place du Sénat sans évoquer l’élection d’une Assemblée à caractère non confessionnel. Ainsi la logique des choses veut que la nouvelle loi électorale (proportionnelle) prévoit le Liban comme circonscription unique ».

Bilan
Du côté du bloc du Futur, on est très sceptique. Le député Ahmad Fatfat rappelle avoir affirmé à plusieurs reprises que « le dialogue n’aboutira à rien parce que la solution commence par l’élection d’un président de la République ». « Le dialogue de Aïn el-Tiné est une distraction en attendant la levée du blocus régional entravant la présidentielle », dit-il à L’OLJ. Mais Hikmat Dib est plus optimiste : « Les trois dernières séances de dialogue ont été marquées de discussions sérieuses qui pourraient mener à une solution de la crise dont souffre actuellement le pays. »
Des sources politiques interrogées par L’OLJ estiment que « l’avantage premier des séances marathons réside en la consécration du principe de la priorité de la présidentielle, à l’unanimité ». Dans ces mêmes milieux, on fait état d’un accord tacite consistant à perpétuer le dialogue tout en affirmant l’attachement à la Constitution. Le dialogue est devenu une vertu en soi, en ce sens qu’il est la seule oasis de communication entre les formations politiques en cette période de paralysie institutionnelle.