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Salam déterminé à relancer le Conseil des ministres

 

L’ÉCLAIRAGE

Philippe Abi-Akl 

C’est confirmé. Le Premier ministre, Tammam Salam, a convoqué le Conseil des ministres pour après-demain jeudi, alors qu’aucune entente n’est intervenue sur le dossier des nominations sécuritaires. L’ordre du jour de la réunion sera ordinaire. Il prévoit principalement la signature du décret d’ouverture d’une session parlementaire extraordinaire. En d’autres termes, le Conseil des ministres devra poursuivre l’examen des points qu’il n’avait pas pu étudier lors de sa dernière séance, le 4 juin, parce que les ministres aounistes exigeaient que le gouvernement nomme, toutes affaires cessantes, un remplaçant au général Jean Kahwagi, dont le mandat à la tête de l’armée n’expire pourtant qu’en septembre.
Les exigences aounistes n’ont toujours pas changé. C’est l’état d’esprit du chef du gouvernement qui n’est plus le même. Dès le début de la crise, Tammam Salam s’était fait un point d’honneur de multiplier les tractations pour trouver une sorte de compromis qui permettrait à son équipe de se réunir, sans plier devant les exigences du bloc Aoun et sans heurter ou défier celui-ci.

Or toutes ces tentatives auxquelles le président de la Chambre, Nabih Berry, s’est associé, sont restées vaines, à cause du durcissement de la position aouniste. La décision de convoquer le Conseil des ministres a été prise samedi, au terme de longues concertations entre MM. Salam et Berry. La majorité ministérielle nécessaire pour tenir la réunion et pour signer le décret d’ouverture d’une session parlementaire extraordinaire, qui permettra à la Chambre de fonctionner normalement et d’approuver la pile de textes de loi qui attendent dans les tiroirs du bureau du Parlement, est assurée. Le Conseil des ministres doit en outre plancher en dehors de l’ordre du jour, sur deux décrets en rapport avec la prospection gazière en Méditerranée, avant l’arrivée à Beyrouth du secrétaire d’État américain adjoint pour les Affaires du pétrole, Amos Hochstein, chargé de régler le conflit libano-israélien sur la Zone économique exclusive.

Plusieurs facteurs ont amené Tammam Salam à ne plus attendre : il y a bien sûr l’absence de toute évolution au niveau des tentatives de médiation. Il y a aussi le ras-le bol du chef du gouvernement face à l’intransigeance aouniste. Mais il y a surtout la pression exercée sur lui par plus des trois quarts des membres du gouvernement, ainsi que par les organismes économiques . « Nous allons fermer nos usines et envoyer nos employés encaisser leurs salaires de Rabieh, puisque là-bas, la situation économique est excellente », avait lancé non sans amertume un des pôles des organismes économiques, qui répondait ainsi aux propos que le général Aoun avait tenus au cours de sa conférence de presse de mardi dernier et selon lesquels la situation économique au Liban est « excellente », conformément aux indices que son parti devait plus tard publier.
Le chef du gouvernement ne pouvait donc pas attendre indéfiniment le bon vouloir du bloc aouniste qui a clairement fait comprendre à ses interlocuteurs qu’il n’est pas question pour lui d’accepter moins qu’une nomination de nouveaux commandant en chef de l’armée, chef d’état-major, directeur général des renseignements militaires, secrétaire général et membres du Conseil militaire.

Selon les visiteurs de Aïn el-Tiné, les ministres du mouvement Amal participeront au Conseil des ministres. Ceux du Hezbollah aussi, le parti de Dieu ayant besoin de la couverture politique que lui assure la présence d’un gouvernement actif, tant qu’il est engagé dans la guerre en Syrie, aux côtés du régime de Bachar el-Assad. Nabih Berry considère qu’il a fait tout ce qui est en son pouvoir pour contribuer au règlement de la crise. Avec le chef du PSP, Walid Joumblatt, il a concocté une série de propositions de compromis, qui sont tombées l’une après l’autre à cause de l’intransigeance aouniste. L’une d’elles consiste à ce que le Conseil des ministres s’engage à fixer dès maintenant la date d’une réunion qui sera consacrée fin août à l’affaire des nominations sécuritaires et à nommer le général Chamel Roukoz, gendre de Michel Aoun, à la tête de l’armée. Mais ce dernier a catégoriquement refusé.

À Rabieh, on justifie comme suit cette intransigeance : si les leaderships musulmans sont capables de bloquer la présidentielle et de court-circuiter le rôle et les prérogatives du président, nous aussi, en tant que partenaires dans ce pays et en tant que force chrétienne, nous sommes capables de bloquer le Conseil des ministres et de paralyser le Parlement. Soit nous sommes des partenaires à part entière dans ce pays, soit nous ne le sommes pas. Qu’on nous le dise alors. L’accord de Taëf, qui prévoit la parité, est appliqué de manière discrétionnaire, étant donné que les chrétiens sont marginalisés. Telle est donc l’argumentation du clan aouniste qui en veut au chef du courant du Futur de plaider en faveur de la parité, mais de ne rien faire pour l’appliquer.

Dans les milieux proches du 8 Mars, on affirme que le général Aoun mène aujourd’hui une bataille pour les nominations sécuritaires et non plus pour la présidentielle, parce qu’il réalise que les conditions nécessaires à son élection n’ont pas suffisamment mûri. Le chef du CPL veut pousser tout le monde, ses alliés et ses adversaires politiques, dans leurs derniers retranchements. Il exige un partenariat authentique, faute de quoi, il compte plaider pour une nouvelle formule politique. Sa proposition de mettre en place un système fédéral s’inscrit dans ce cadre.
Pointé du doigt par le CPL qui considère avoir été lâché par Saad Hariri, le courant du Futur refuse de s’engager dans une polémique. De sources proches du parti de Saad Hariri, on indique que ce dernier a déclaré à maintes reprises qu’il n’a de veto contre aucun candidat à la tête de l’État ou de l’armée, mais qu’il est attaché à l’organisation de la présidentielle avant la nomination d’un commandant en chef de l’armée, celle-ci étant de la compétence du chef de l’État. Tout en mettant en garde contre une atteinte à cette prérogative présidentielle, Saad Hariri reste attaché à ses bons rapports avec le général Aoun, indique-t-on dans les milieux du courant du Futur.