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Se mettre au vert…

Les élections municipales revêtent cette année à Beyrouth un caractère particulier. Le brillant démarrage d’une liste – Beyrouth madinati – qui incarne la société civile et foisonne de talents donne déjà à la campagne une saveur différente et entraîne l’adhésion de nombreux inscrits, notamment parmi l’intelligentsia et les milieux « branchés » de la capitale.

Ce groupe affrontera le 8 mai le rouleau compresseur des partis politiques et forces actives de la ville, appelé au final à rafler la mise. Il aura aussi face à lui une équipe incomplète de contestation, menée par l’ancien ministre Charbel Nahas et, en principe, une liste à la coloration confessionnelle plus marquée, en l’occurrence sunnite.

Dans une région mise à feu et à sang par d’odieux tyrans et d’abominables fous de Dieu, dans un pays aux institutions quasi totalement bloquées, la campagne des municipales à Beyrouth constitue, sans nul doute, l’une de ces petites bouffées d’oxygène qui aident depuis longtemps le Liban à survivre vaille que vaille…

… Et qui donnent l’illusion du mouvement. Car oui, hélas, il y a, quelque part, une illusion : celle que produit la vie politique d’un pays lorsqu’on la dépouille de ce qui fait précisément son essence : la politique. Sans elle, il n’y a pas de démocratie et, surtout, pas de remède aux maux politiques.

Mais les municipales ne sont pas censées apporter ces remèdes, objectera-t-on. Les enjeux y sont familiaux, techniques, ou de « développement », comme le dit le mot arabe inma’i, chargé à tort d’une connotation apolitique… Faux, archifaux : qui dit élection dit choix, et ce choix n’est pas seulement entre deux candidats, deux cousins, deux talents, entre un homme et une femme, un musulman ou un chrétien, un jeune ou un vieux, un présumé innocent et un présumé coupable, ou encore un politicien et un non-politicien… Ce devrait être aussi et surtout un choix entre des programmes, des façons de faire, des options fiscales, économiques, sociales, culturelles, des visions stratégiques opposées, des réponses différentes aux problèmes, des partis pris… bref des choix politiques.

Or aucune des listes en présence ne peut prétendre réellement offrir de tels choix. À commencer par la principale, celle de la coalition des partis politiques. Mettre ensemble le Futur, les FL, les aounistes, le tandem chiite, les évêques et tout le reste équivaut à verrouiller la politique, à la neutraliser et la discréditer. Tout cela en donnant raison, rétrospectivement, à une opinion publique irresponsable (au sens à la fois littéral et propre) qui, précisément, a tendance à voir la classe politique comme une entité unique dont les composantes seraient liées entre elles par de vils intérêts. Cela équivaut surtout, par la consécration du consensus roi, à perpétuer les causes de la paralysie des institutions.

Et c’est au même résultat qu’aboutit in fine la liste Beyrouth madinati. Pour être animée des meilleures intentions du monde et jouir d’un marketing très efficace, elle n’en souffre pas moins d’un défaut congénital majeur, celui de se définir uniquement par rapport à la classe politique et de refléter l’incapacité de la société civile, au stade actuel, de générer de réelles alternatives politiques, comme on l’a si bien vu avec les collectifs nés de la crise des déchets.

Car enfin, le vrai problème de la société civile, c’est cette fâcheuse tendance à vouloir jeter le bébé avec l’eau du bain. Ce n’est pas parce que les partis politiques passent par une phase de discrédit que les vrais enjeux politiques qui les opposent cessent d’être réels. Ce phénomène n’est pas sans rappeler l’émergence il y a quelques années en Italie de l’apolitique « Mouvement 5 étoiles » du comique Beppe Grillo, qui a caracolé un moment en tête de toutes les élections sans pouvoir apporter une vraie alternative.

Et que dire de la liste « sunnite » projetée, sinon qu’elle n’est là que pour la surenchère sectaire ?

Reste, enfin, Ghada Yafi, Charbel Nahas et leurs amis. Là, certes, la contestation est davantage inscrite dans une vision politique plus globale, mais elle n’en reste pas moins marginale, tant elle renvoie à des visions extrêmes ou surannées, faites d’un mélange détonant de sauces à la Chavez-Tsipras-Podemos-Mélenchon-Ahmadinejad…

Mais qu’importe à la fin ? Le Liban a beau être bloqué et isolé comme il ne l’a jamais été, sa capitale se divertit à voir des dizaines de candidats plus ou moins talentueux, ici et là, rivaliser de promesses d’y multiplier les espaces verts.

Un peu d’oxygène, donc…