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À défaut de vision nationale, « des spéculations sur les intentions du Hezbollah »

 

Sandra NOUJEIM

Le rythme politique qui s’est ralenti depuis la vacance présidentielle semble avoir atteint un point mort. Le second jour de la visite officielle du secrétaire général de l’Onu en a fourni un triste rappel : des nombreuses promesses d’aides financières au Liban, seule a été annoncée une aide de la Banque mondiale, d’une valeur de 100 millions de dollars US, destinée à l’infrastructure scolaire, et remboursable après sept ans à compter de son entrée en vigueur. Son versement attend toutefois la relance institutionnelle : s’agissant d’une aide et non d’une donation (qui est avalisée en Conseil des ministres), elle nécessite un vote au Parlement. En suspendant ses aides au Liban à la seule condition de débloquer les institutions, à commencer par la magistrature suprême, la communauté internationale entend inciter les parties libanaises à convenir d’une issue à la crise.

Mais cette tentative demeure symbolique, lorsque l’on sait de sources diplomatiques concordantes que le Liban n’est pas une priorité pour les chancelleries. Perçu comme un pays qui « n’exporte pas de problèmes », l’intérêt qui lui est porté se limite au maintien de la stabilité et de la vitalité de son secteur bancaire. L’absence d’interlocuteurs libanais ayant une feuille de route clairement définie pour le pays n’aide pas à stimuler l’attention des décideurs internationaux et régionaux.

La décision du courant du Futur d’écarter du débat politique les dossiers litigieux liés au Hezbollah (l’arsenal du parti et son implication dans des guerres régionales) a contribué à prémunir le pays des répercussions du conflit régional. Le dialogue bilatéral, de même que l’appui par le courant du Futur à la candidature du député Sleiman Frangié à la présidentielle ont servi cet objectif. Un objectif qui, en somme, obéit au souci constant de rassurer le Hezbollah, au risque de s’attirer ses foudres.

Le compromis Frangié devait pousser plus loin l’entente sur la préservation de la stabilité, en proposant une relance institutionnelle à laquelle le Hezbollah serait un partenaire direct. Une relance qui s’orienterait exclusivement vers un programme socio-économique, affranchi des polémiques touchant à la dimension milicienne du parti chiite.
Jusqu’à l’heure, le chef du courant du Futur, Saad Hariri, reste attaché à ce compromis. Il serait en effet convaincu de son utilité, et surtout du fait que le Hezbollah n’a aucune raison de le refuser. Maintenir son appui à la candidature de Sleiman Frangié servirait à lui donner des chances d’aboutir. Loin de Saad Hariri l’idée de s’en servir d’un point de vue tactique, c’est-à-dire pour inciter le Hezbollah à négocier avec lui un compromis autour d’un troisième candidat consensuel. De plus, les milieux de la Maison du centre présument que le Hezbollah continuera de soutenir la candidature du chef du Courant patriotique libre (CPL), par respect pour leur alliance.

Cette manière de la Maison du centre de jouer franc jeu avec le parti chiite lui a permis de constituer des partenariats avec le chef du Rassemblement démocratique et le président de la Chambre. Ce dernier aurait tenté, dit-on, de convaincre son allié chiite de l’opportunité d’élire un président de la République issu du 8 Mars. Aux visiteurs de Aïn el-Tiné, il a prôné un « compromis qui ne peut se constituer qu’en dehors des alliances actuelles ». C’est-à-dire sur un terrain d’entente nationale, dépassant les clivages.

De ce terrain, l’on ne peut repérer que des fragments disparates. Parmi les constantes susceptibles de le constituer, la méthode soutenue par le courant du Futur de contenir la rue sunnite. « Si Saad Hariri tenait des discours aussi violents que ceux du secrétaire général du Hezbollah, le pays se serait enflammé », selon une source proche de la Maison du centre, qui rapporte que le leadership du Futur est « conscient de sa capacité à mobiliser la rue sunnite, mais s’abstient de le faire ». Le ministre démissionnaire Achraf Rifi l’a lui-même reconnu dans une interview diffusée en soirée sur la chaîne al-Arabiya. « La rue sunnite n’est pas du tout en état d’insurrection ni de révolte. Notre seule démarche vise à créer une dynamique qui rétablisse l’équilibre du jeu interlibanais », a-t-il affirmé.

Si l’on concède que cette méthode de la non-violence définit a minima la stratégie du courant du Futur, il manque à celle-ci une vision sur le moyen terme. Or, en écartant d’entrée la question des armes du Hezbollah, le compromis Frangié a induit un oubli quasi généralisé de la dimension extralibanaise du parti chiite. Le 8 Mars en est venu à véhiculer une image « démocratique » du Hezbollah, qui aurait concédé une marge de manœuvre à ses alliés.

Certains font état d’un embarras du 8 Mars face au risque de « perdre une occasion en or d’élire un président issu de ses rangs ». Ils donnent surtout l’impression que le Hezbollah dispose d’une marge de manœuvre par rapport à l’Iran sur les dossiers libanais, en l’occurrence la présidentielle.
Au point d’en oublier que le secrétaire général avait lui-même affirmé que le 8 Mars ne se rendra à la séance électorale qu’avec « des votes unifiés ». Au point surtout d’omettre deux qualités intrinsèques au Hezbollah. Étant d’abord le seul à détenir les armes, « il n’attend pas des opportunités en or, mais les crée », relève une source politique. Il sert ensuite de carte régionale à Téhéran : le Hezbollah ne fait qu’exécuter la volonté de Téhéran, et les compromis qu’il fait au Liban ne sont que de nature tactique. À l’heure actuelle, les décideurs iraniens attendraient les résultats de la présidentielle américaine pour décider de leur prochaine démarche au Liban. La relance institutionnelle pourrait encore durer au moins jusqu’à la fin de l’année.

Selon une lecture un peu plus optimiste, le parti chiite pourrait décider « de son propre chef » de débloquer la présidentielle, mais, s’il le fait, ce sera seulement pour « imposer une assemblée constituante », que disent craindre des milieux du courant du Futur et certains indépendants.
En plus d’avoir imposé le vide, le parti chiite a réussi à « amener toutes les parties, libanaises et étrangères, à spéculer à sa place sur ses intentions », constate une source diplomatique occidentale.

Une démarche d’autant plus aisée qu’il n’existe plus au Liban de support politique pluriel à la dynamique d’édification de l’État. Le sunnisme modéré est en quête de partenaires, depuis que l’entente de Meerab s’oriente de plus en plus vers la création d’un front chrétien, préoccupé par la diffusion de la parité à tous les sièges de la fonction publique et par la revendication d’un « partenariat », dont le tandem CPL-Forces libanaises (FL) serait la seule partie chrétienne légitime.

Le chef des Marada, Sleiman Frangié, a mis en garde contre le recours à la rue que le CPL entend mener conjointement avec les FL. « S’ils décident de descendre dans la rue, au lieu de se rendre à la séance électorale, tous les interdits tomberont : la possibilité pour nous de nous rendre à l’hémicycle sera envisagée », a-t-il relevé dans un entretien au quotidien al-Joumhouriya. Il a ajouté que « même si le Hezbollah me demandait de retirer ma candidature, je ne le ferais pas. Ce serait m’annuler moi-même ».