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L’échange d’accusations bat son plein

 

Jeanine JALKH

L’euphorie suscitée par l’élection d’un président à la tête de la République après deux ans de tergiversations infructueuses semble s’éteindre devant le spectacle désolant des tiraillements autour des portefeuilles ministériels. Du déjà-vu qui rappelle d’une façon sinistre les précédents épisodes en matière de formation de gouvernement, ramenant les Libanais à la triste réalité d’un paysage politique en perpétuel défrichage.
En dépit des multiples promesses d’un démarrage rapide et efficace du nouveau mandat, la machine semble grippée une fois de plus. Comme à l’accoutumée, les protagonistes se lancent des accusations réciproques, chacun faisant assumer à l’autre la responsabilité de ce nouveau blocage.
Côté CPL, FL et courant du Futur, ont pointe du doigt le tandem chiite à qui l’on impute une volonté de paralysie des institutions. Celle-ci devrait durer tant que le Hezbollah et Amal n’ont pas reçu des clarifications, voire des garanties, sur l’orientation politique du nouveau pouvoir en termes de stratégie externe, mais aussi interne, relative à la modalité d’application de la Constitution de Taëf.
Dans les milieux de Nabih Berry, qui depuis l’élection de Michel Aoun a été délégué pour négocier au nom du Hezbollah, on fait porter la responsabilité des tergiversations au duo chargé de la formation du gouvernement, autrement dit le président de la République Michel Aoun et le Premier ministre désigné Saad Hariri. Ces milieux soutiennent que l’obstruction est provoquée par le refus de ces derniers de confier un ministère au chef des Marada, Sleiman Frangié. De part et d’autre, on reconnaît cependant que plus le temps passe, plus la mission du nouveau gouvernement – dont la durée de vie ne dépassera pas les six mois – d’adopter une nouvelle loi électorale se trouvera compromise.
« L’Orient-Le Jour » a recueilli les explications de quatre responsables sur les raisons du blocage et les moyens de sortir de cette nouvelle crise.

Ali Khreiss, député du bloc Berry

C’est l’autre camp qui doit assumer la responsabilité de l’obstruction. Le Premier ministre désigné Saad Hariri a dit au président de la Chambre Nabih Berry qu’il avait suggéré au chef des Marada, à deux reprises, le portefeuille de l’Éducation et que ce dernier l’a refusé. M. Berry lui a clairement répondu, lors de la réception de Baabda à l’occasion de l’élection du chef de l’État, qu’il était prêt à convaincre M. Frangié d’accepter ce ministère. Sa proposition n’a reçu aucun écho à ce jour. Je ne sais pas exactement si le refus vient de M. Hariri ou du président Aoun. Je peux dire en tous les cas que ce retard aura une conséquence certaine, à savoir que la nouvelle équipe n’aura pas le temps d’adopter une nouvelle loi électorale et finira par se rabattre sur la loi de 1960.
La solution est d’une simplicité inouïe. Si le président et le Premier ministre sont bien intentionnés et souhaitent réellement mettre sur pied un gouvernement le plus tôt possible, ils n’ont qu’à accepter la proposition de M. Berry qui reste déterminé à intervenir auprès de M. Frangié pour le convaincre d’accepter le ministère de l’Éducation. D’ailleurs, pourquoi M. Aoun ne ferait-il pas un pas en direction du chef des Marada, en l’appelant au téléphone pour tenter de résoudre cette question ? Après tout, il est le chef de l’État, l’arbitre et le parrain de toutes les parties en présence. Il ne faut pas oublier que M. Frangié a été solidaire de M. Aoun jusqu’au bout, en s’abstenant notamment de faire acte de présence au Parlement pendant 8 mois alors que tous les deux étaient candidats à la présidence.
L’obstruction réelle n’est certainement pas due à la modalité de l’application de Taëf, comme on le laisse entendre ici et là. Cela dit, nous souhaitons en effet avoir des clarifications à ce sujet, ainsi que sur la vision du nouveau mandat de l’application de la loi fondamentale.

Rony Arayji, ministre sortant de la Culture, proche des Marada

Notre position a été on ne peut plus claire depuis le début. Soit on nous attribue l’un des trois ministères (NDLR : Travaux publics, Énergie ou Télécoms), soit on se retire. Si certains veulent nous faire assumer la responsabilité du blocage, c’est leur problème. Ce qui est demandé, c’est de trancher dans un sens comme dans un autre, et nous dire simplement si l’un des trois portefeuilles souhaités peut nous être confié ou pas. D’ailleurs, nous ne sommes pas les seuls dont la demande est restée insatisfaite à ce jour. D’autres composantes du 8 Mars sont également dans l’attente d’une réponse (le PSNS, le Baas et le Parti démocrate libanais de Talal Arslane).
Je ne saurais pas dire si le blocage réside exclusivement au niveau de la formation du gouvernement ou s’il y a d’autres raisons à cela. Tout ce que je peux dire, c’est qu’on aurait dû trancher plus tôt l’affaire du ministère à confier aux Marada. Plus le temps passe, plus les choses se compliquent. J’ai l’impression que la dynamique qui a immédiatement suivi l’élection du président commence à s’essouffler. Le problème a pris des dimensions disproportionnées. S’il y a une distribution équitable, le problème sera résolu.

Antoine Zahra, député Forces libanaises

Jusque-là, on nous a proposé les ministères des Affaires sociales, de l’Information et des Travaux publics avec la vice-présidence du gouvernement, et le portefeuille du Tourisme qui sera confié à Michel Pharaon, un ministre proche des FL. Nous avons soumis des noms de ministres potentiels et depuis nous n’avons plus eu d’écho.
Partant du principe que c’est le président de la République, en collaboration avec le Premier ministre, qui tranche en matière de gouvernement, nous estimons que nous n’avons aucune emprise sur la dynamique sous-jacente qui peut avoir lieu en dehors du duo président-Premier ministre. Nous ne savons rien de ce qui se passe entre le chef de l’État d’une part et le tandem chiite Amal-Hezbollah de l’autre.
Il faut déjà comprendre que le nœud gordien ne réside pas au niveau de la répartition des portefeuilles. Le problème pour certaines parties est de savoir si, lors du mandat, les accords de Taëf seront appliqués à la lettre ou de manière circonstancielle et sélective comme cela se faisait avant. C’est là que se trouve le vrai problème.
Par conséquent, la solution serait de laisser la marge de manœuvre au président et au Premier ministre en matière de formation de gouvernement, d’autant que les Marada ont clairement dit que si leur requête n’est pas honorée, ils seraient prêts à se désister et à renoncer à participer au gouvernement. Pour faire court : une fois que le prétexte des portefeuilles est enlevé, les responsables du blocage n’auront plus d’excuses.

Élie Mourani, député Kataëb

Il y a actuellement deux explications en vogue concernant le blocage : la première est celle qui consiste à dire que le Hezbollah cherche par tous les moyens à pérenniser le vide au niveau des institutions, exactement comme il l’avait fait avant l’élection de Michel Aoun. Rappelons que celle-ci n’a été possible que lorsque les FL puis le courant du Futur ont avalisé sa candidature, mettant le parti chiite au pied du mur. La seconde version porte sur la question de savoir si la tergiversation dans la formation du gouvernement n’est pas en quelque sorte voulue afin de retarder l’adoption d’une nouvelle loi électorale et lui substituer, en dernière minute, la loi de 1960. D’ailleurs, il est difficile de croire que la mise sur pied d’un gouvernement est simplement retardée par l’attribution d’un ou de deux portefeuilles à telle ou telle autre partie.
Derrière le blocage, il y a une volonté d’affaiblir le nouveau chef de l’État et de ternir l’image du « président fort », tout en poursuivant la politique de la paralysie des institutions. Par conséquent, l’issue de sortie est entre les mains de Michel Aoun et du Premier ministre désigné Saad Hariri, qui doivent aplanir les difficultés et ôter tous les prétextes des mains des obstructionnistes.