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« Peut-être arriverons-nous à tirer les Arabes de leur sommeil profond ! »

Suzanne BAAKLINI

Contrairement à la manifestation pour Jérusalem à Aoukar (Metn) qui avait dégénéré samedi en heurts avec les forces de l’ordre, la manifestation géante organisée par le Hezbollah hier dans la banlieue sud s’est déroulée dans l’ordre et la discipline. D’une même voix, les dizaines de milliers de manifestants scandaient des slogans hostiles aux États-Unis et à Israël, en réponse à la décision du président américain Donald Trump, le 6 décembre, de considérer Jérusalem comme la capitale de l’État hébreu et d’y emménager l’ambassade de son pays. L’avenue Hadi Nasrallah, l’une des principales artères de la banlieue sud à Haret Hreik, était noire de monde sur toute sa longueur, sans compter les milliers de partisans qui ont rempli le stade central portant le nom du « Sayyed des martyrs ». Une mobilisation saluée par le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, dans son discours retransmis sur écrans géants ou simplement par haut-parleurs tout au long de l’artère, afin que les marcheurs – femmes d’un côté et hommes de l’autre – n’en perdent pas une miette.
« Jérusalem, nous avançons vers toi », « Le droit ne meurt pas », « Jérusalem, capitale éternelle de la Palestine », « Mort à l’Amérique, mort à Israël ! »… entendait-on via les haut-parleurs géants, des slogans repris avec fougue par la foule. Deux petites voix les criaient plus fort que les autres : Ali et Alaa n’ont que 9 et 6 ans, ils sont Palestiniens et ont fait le déplacement avec leur mère libanaise de Bir el-Abed. « C’est notre pays et nous avons peur pour Jérusalem », disent ces enfants privés de leur terre d’origine. Ils ressentent cependant le rassemblement géant comme un baume au cœur. « Tous ces gens-là viennent nous soutenir et refuser que Jérusalem nous soit retirée », lancent-ils, visiblement émus.
Il y avait beaucoup de Palestiniens dans la foule, mais également de très nombreux Libanais venus de différentes régions. Le keffieh palestinien, porté de quelque façon que ce soit, unifiait la foule. Les drapeaux palestiniens et ceux du Hezbollah étaient très nombreux, mais on repérait aussi des drapeaux d’autres partis comme Amal, le Parti syrien national social (PSNS), le Parti communiste libanais (PCL), ainsi que certains drapeaux des « Brigades de la résistance » et quelques drapeaux libanais et même syriens.

Fière du « vrai peuple arabe »
Les Palestiniens sont naturellement très affectés par les derniers bouleversements. Asmahan a 65 ans, elle a fait le déplacement avec son mari du camp de Bourj Brajneh. « Je suis née au Liban, mais je reste fille de Palestine, dit-elle. Ce patrimoine, c’est le nôtre, ce n’est ni celui de Trump ni celui des Juifs, et ils ne peuvent en disposer. Je suis fière de voir autour de moi le vrai peuple arabe se soulever, parce que la majorité des régimes, eux, ont démissionné. »
Du côté des femmes, nombreuses étaient celles qui avaient emmené leurs enfants, même leurs bébés, parfois enveloppés du drapeau du Hezbollah, du keffieh ou du drapeau palestinien. Venue de la banlieue sud même, Fatima, 32 ans, n’a pas hésité à entraîner au beau milieu de la foule ses deux enfants en bas âge, dont un bébé de quelques mois en poussette. « Pourquoi serais-je inquiète pour eux ? » dit-elle. Cette paisible mère de famille répond avec humour à une question concernant sa participation à la manifestation : « Je suis là pour la cause palestinienne. Et puis qui sait ? Peut-être arriverons-nous à tirer les Arabes de leur sommeil profond ! »
Jaafar, 30 ans, habitant de la banlieue sud, a lui aussi emmené son fils en bas âge, et il explique pourquoi : « Je veux que mon fils soit imprégné de cette valeur que nous avons tendance à perdre de plus en plus, l’arabité, dit-il. Je lui explique que nous défendons la cause d’une autre capitale arabe et que ce sera toujours le cas. De plus, en tant que chiites et musulmans, nous sentons qu’il est de notre devoir de soutenir toutes les victimes et les Palestiniens sont des victimes. Notre doctrine et notre histoire nous enseignent cela. »

« Nous risquons de perdre ce qui reste »
Pour Nabila Zahlane, 32 ans, étudiante en communication, « la question n’est pas de savoir pourquoi nous avons répondu à l’appel de la manifestation pour Jérusalem, puisque je pense que c’est une évidence d’être là ». Elle affirme que Jérusalem, et par conséquent la Palestine, sont la cause essentielle de laquelle découlent toutes les autres questions, notamment les conflits en Irak ou en Syrie. « Les experts juridiques s’accordent à dire que la décision de Donald Trump va à l’encontre de toutes les lois, mais là n’est pas l’essentiel, dit-elle. Ce qui importe, c’est qu’elle constitue un affront de plus au peuple palestinien et que nous ne pouvons l’accepter sous peine de le voir démuni de tout. » La jeune femme ne perd cependant pas espoir. « Nous n’avons pas seulement perdu la Palestine depuis la déclaration de Balfour et ce qui a suivi, nous pouvons encore perdre ce qui reste de cette cause définitivement si nous restons les bras croisés », ajoute-t-elle d’un ton volontaire.
Ce besoin de soutenir Jérusalem a attiré des partisans de loin. « Je suis rentré au Liban dès que j’ai appris la nouvelle », déclare Saïd, un Libanais originaire du Sud, mais établi en Autriche, faisant référence à la décision de Donald Trump. « Cette décision est très grave car, selon moi, elle ouvre la porte à l’élimination de la cause palestinienne », affirme cet homme de 50 ans.
Pendant la manifestation, la foule a accueilli avec enthousiasme le début du discours du secrétaire général du Hezbollah, retransmis sur écrans géants et à travers les haut-parleurs. Elle a répondu à l’unisson à l’hommage qu’il a rendu à l’importante mobilisation. Et c’est dans le calme aussi que la grande artère s’est progressivement vidée.