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Face à l’ultimatum de la rue, la classe politique s’agite et tâtonne

 

Jeanine JALKH 

S’il est encore tôt pour évaluer les effets de la grogne populaire en termes de réformes souhaitées, on peut cependant constater que le soulèvement citoyen aura au moins servi à relancer la dynamique politique, mettant un terme provisoire à la sclérose institutionnelle. C’est ce qui transparaît des multiples initiatives annoncées au cours du week-end, survenues à la suite d’un sursaut de conscience forcé par le grondement de la rue.
Qu’il s’agisse du sommet islamo-chrétien organisé sous la houlette de Bkerké – étouffé dans l’œuf dès dimanche soir – ou de la formule « concurrente » de la conférence de dialogue improvisée dimanche par le chef du Parlement, ce sont autant de signes qui démontrent que l’ultimatum lancé par les protestataires semble avoir été entendu.

Quand bien même les responsables continuent de se complaire dans la politique du déni apparent, le branle-bas observé ces derniers jours atteste d’un malaise officiel certain que traduit une effervescence d’initiatives pour tenter de trouver une issue à la crise. Tout en jetant du lest aux manifestants – la reconnaissance par la classe politique de la « légitimité » des seules revendications qui ne remettraient pas en cause leur pouvoir –, certains responsables continuent de s’offrir le luxe de la politique de tergiversation et des reports, face à l’urgence des réponses réclamées à cor et à cri sur le champ de la contestation populaire.
C’est ainsi qu’il faut comprendre la manœuvre ourdie contre la tenue du sommet islamo-chrétien hier matin qui a fait capoter cette rencontre spirituelle parrainée par le patriarcat maronite. En tête des demandes qui devaient figurer dans le communiqué avalisé par l’ensemble des chefs religieux, l’élection d’un chef de l’État, « une exigence reléguée au second plan par les frondeurs de la société civile », fait remarquer une source informée. Coup de théâtre de dernière minute : le vice-président du Conseil supérieur chiite, cheikh Abdel Amir Kabalan, s’excuse pour des raisons de santé. Les autres figures religieuses musulmanes saisissent le message au vol et s’abstiennent également. Le sommet est remplacé par un autre exclusivement chrétien au cours duquel les députés sont invités à se rendre au Parlement pour élire un président qui ensuite devra former un nouveau gouvernement.

La raison officielle du report a été avancée par une source proche de Bkerké qui soutient qu’« il est préférable que les Églises se rencontrent d’abord entre elles parce que la présidentielle a une importance particulière pour les chrétiens ». Un argument qui n’a pas pu convaincre les observateurs chevronnés qui ont constaté que la réunion – reportée sitôt après l’annonce de l’initiative du chef du Parlement – ne devait pas faire double emploi avec l’ordre du jour proposé par Nabih Berry. Or dès que l’on rentre dans les méandres de la sémantique, l’on constate que le « double emploi » n’est pas à rechercher dans les thèmes traités, notamment l’élection présidentielle, mais plutôt dans la manière dont ce sujet devait être abordé. La proposition de M. Berry a vaguement évoqué « l’examen » de l’échéance présidentielle, alors que Bkerké parle et insiste sur « l’élection effective » d’un chef de l’État.

C’est précisément là où le bât blesse, du moins lorsqu’on évoque ceux qui sont les plus concernés par ces nuances. À leur tête, le chef du CPL et son allié, le Hezbollah, qui persistent dans leur refus d’accorder la priorité à l’élection d’un président, comme le souligne une source proche de Dar el-Fatwa. La source assure que le cheikh Kabalan a dû finalement céder à la pression exercée par ces deux formations et s’excuser. Il a été immédiatement suivi par les autres représentants religieux musulmans, soucieux de démontrer l’unité des rangs au sein de la communauté musulmane et de ne pas aller à contre-courant de la majorité des blocs politiques qui ont salué le projet Berry. Ce dernier ne pouvait que se réjouir de ce report, recouvrant ainsi l’initiative et par là même son titre de « parrain des solutions ».

Le retour de facto aux effets pernicieux de la polarisation, notamment au niveau de l’échéance présidentielle, est également manifeste au sein du Hezbollah. Conscient que le chef du CPL est directement visé par cette démarche, le parti chiite est condamné à défendre le seul mouvement qui lui sert de rempart et renforce sa légitimité. Le Hezbollah se voit en outre d’autant plus embarrassé par la question de l’élection présidentielle qu’il n’aurait pas encore obtenu le feu vert iranien à ce sujet, fait remarquer un observateur.
Un sommet islamo-chrétien risquerait en outre de voir ressurgir les tensions sunnito-chiites, exacerbées par les tentatives d’attaque contre le Sérail et les exactions commises au centre-ville – perçu comme étant le chef-lieu des sunnites – et « attribuées à tort au parti chiite », selon des sources bien informées.
Bref, autant de craintes qui laissent croire que le Hezbollah, qui évite comme la peste toute confrontation avec les sunnites, ne rejoindra pas le mouvement de protestation des partisans du CPL vendredi prochain, selon ces mêmes sources.

Ce sont également les mêmes inquiétudes de déstabilisation qui ont conduit à l’annulation d’un autre sommet, sunnite cette fois-ci, qui devait se tenir dimanche. Sur l’insistance du Premier ministre qui a estimé que le moment n’est pas propice à une telle rencontre, qui pourrait aiguiser encore plus les tensions, celle-ci a été écartée.
Autre report et surprise de dernière minute, la réunion de la commission ministérielle chargée du dossier des déchets dont s’est retiré le ministre Mohammad Machnouk pour laisser la place au ministre de l’Agriculture, Akram Chehayeb, désigné pour présider un comité d’experts.
« C’est le début d’un repli, mais ce n’est pas suffisant », affirme à L’Orient-Le Jour l’ancien ministre Charbel Nahas, qui était présent la semaine dernière au sein du mouvement de protestation dans l’orbite du collectif « Badna N’haseb » (Nous voulons des comptes). M. Nahas souligne que le fait que certains ministres se soient « rétractés, en paroles seulement et non dans les actes, est un début ». Il s’agit notamment de Boutros Harb qui a fait paraître hier un communiqué reconnaissant que l’argent des municipalités doit revenir de facto à celles-ci, fait remarquer l’ancien ministre. « On attend toujours de voir la concrétisation de ces déclarations », a-t-il dit.

Quant aux membres du collectif « Vous puez ! », c’est aujourd’hui seulement qu’ils annonceront leur plan d’action pour la prochaine étape, sachant que le délai des 72 heures expire ce soir. L’escalade étant l’une des options retenues pour l’heure, les représentants du collectif devaient examiner, jusqu’à une heure tardive hier soir, les détails de leur prochaine action.