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La bataille du jurd se poursuit sur fond d’une guerre verbale

Jeanine JALKH |  

C’est comme si le Liban officiel était condamné à perpétuellement se déchirer toutes les fois que le pays fait face à des échéances, surtout lorsque celles-ci sont de nature sécuritaire ou militaire. C’est à croire qu’il n’y a plus aucune nuance en politique, la vision manichéenne étant devenue la règle, un peu comme l’avait déjà auguré l’ancien président américain George W. Bush en 2001, avec sa célèbre « Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous », entendre « avec les terroristes ».
C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre la polémique suscitée hier au quatrième jour de la bataille d’épuration du jurd de Ersal, autour du rôle que joue le Hezbollah dans ces affrontements et des objectifs de sa mission qu’il « cherche à exploiter sur le plan de la politique interne et régionale », selon certains.
Ce débat vient relancer de plus belle la question concomitante des limites imposées au rôle de l’armée et à la souveraineté de l’État par la marge de manœuvre et de pouvoir de décision que s’octroie le parti chiite en matière de guerre et de paix.
La polémique s’est sérieusement corsée après la publication dans le quotidien al-Akhbar (proche du Hezbollah) d’un éditorial virulent signé par Ibrahim el-Amine, intitulé : « Crevez de colère. Le Hezbollah aura le dernier mot, où qu’il se trouve. »
Le texte pointe du doigt tous ceux qui s’opposent, explicitement ou implicitement, à l’action du Hezbollah dans les contrées arabes et à sa lutte présumée contre le terrorisme. Ce sont les mêmes, dit en substance l’auteur, qui se sont opposés à l’action du Hezbollah depuis l’adoption de la résolution 1559, en 2004, jusqu’à la récente bataille du jurd, en passant par la guerre d’Israël en 2006 et les incidents militaires de 2008 qui avaient opposé les combattants du parti chiite à la rue sunnite, puis druze. « Aujourd’hui, ils souhaitent que la résistance laisse les jihadistes et les takfiristes se balader comme bon leur semble en Irak, en Syrie et au Liban », écrit Ibrahim el-Amine. L’auteur a accusé ceux qui critiquent le Hezbollah de « traîtrise » envers leur pays, avant de les prévenir qu’ils seront tous « poursuivis et tués par les combattants de la résistance ». Il a nommément cité les membres de « l’équipe du Premier ministre, Saad Hariri » et tous ceux qui partagent son point de vue, notamment « Samir Geagea (le président de Forces libanaises), Mouïn Merhebi (ministre actuel), Farès Souhaid (ancien député) ». Autant de voix « discordantes » qui, d’après lui, « ne souhaitent pas » que la résistance marque une victoire contre les éléments radicaux dans le jurd.
Le journaliste a également pointé un doigt accusateur en direction de ceux qui « dénoncent la xénophobie » et qui touchent des salaires faramineux, a-t-il laissé entendre, dans une allusion aux ONG qui s’occupent des réfugiés syriens.

Série de réactions
Les réactions à cet article enflammé ne se sont pas fait attendre. Du tac au tac, le ministre FL des Affaires sociales, Pierre Bou Assi, a affirmé que ce sont « ceux qui enlisent le Liban dans des guerres intarissables qui portent le mieux le qualificatif de traître ».
Sur son compte Twitter, Farès Souhaid a aussitôt exhorté le parquet de « prendre acte et d’agir en conséquence », estimant que l’auteur a « explicitement et nommément adressé des menaces de mort ». L’ex-coordinateur des forces du 14 Mars a indiqué par la même occasion que « tout propos qui érige le Hezbollah en protecteur de la nation ne nous concerne pas », martelant l’idée que « seul l’État et l’armée sont habilités à défendre la nation ».
Les membres de la Rencontre de Saydet el-Jabal, dont M. Souhaid est le président, ont dénoncé pour leur part dans un communiqué l’existence de « deux armées au Liban, comme c’est le cas en Syrie et en Irak ». Ils ont réclamé par ailleurs le déploiement des forces de la Finul tout le long de la frontière avec la Syrie.
À son tour, le courant du Futur a publié un communiqué dans lequel il affirme que « ceux qui considèrent que les affrontements qui ont lieu dans l’anti-Liban vont conférer à la guerre menée par le Hezbollah en Syrie et dans d’autres contrées arabes une légitimité nationale se trompent ». « Le courant du Futur ne commettra pas, lui, cette erreur monumentale, quels que soient les menaces proférées et les messages écrits et audiovisuels destinés à menacer ceux qui s’opposent à la politique du Hezbollah », poursuit le communiqué.
La réponse de l’ancien ministre, Wi’am Wahhab, est venue cinglante, ciblant personnellement le chef du bloc du Futur, Fouad Siniora : sur son compte Twitter, il a précisé que « la participation du Hezbollah à la guerre contre le terrorisme n’a pas besoin d’une couverture de la part d’un courant qui bientôt sera de l’ordre du “has been” ». « Puisque vous avez réussi à remblayer la partie du littoral située au niveau du secteur de Normandie à Beyrouth, continuez de causer », a-t-il dit. S’alignant sur ses positions, le député du Parti syrien national social, Marwan Farès, a loué les sacrifices faits par le Hezbollah, allant jusqu’à considérer que le combat que mène ce dernier contre le terrorisme « verse dans l’intérêt des Européens » qu’il a accusés par ailleurs d’avoir « consolidé le terrorisme en Syrie ».
Au moment où la guerre verbale se poursuit via les médias, le gouvernement se mure dans un mutisme officiel évitant d’évoquer la guerre qui se poursuit dans le jurd de Ersal. Un silence que certains ont interprété comme étant un aval tacite concédé au Hezbollah. D’autres y ont vu tout simplement une manœuvre de la part d’un exécutif polarisé autour de la question, qui a opté une fois de plus pour la politique de l’autruche afin de sauvegarder son unité de façade.
C’est sur fond de cette controverse que Saad Hariri, qui se trouve déjà à Washington pour une visite officielle, se prépare à sa rencontre aujourd’hui avec le président US, Donald Trump. Au menu des discussions : la crise des réfugiés syriens et les aides promises et attendues de la part des pays donateurs, mais aussi la poursuite du soutien US à l’armée libanaise, « d’autant plus vital aujourd’hui qu’il est susceptible de renforcer l’État et d’affaiblir l’emprise des forces militaires parallèles », relève une source citée par al-Markaziya. À la question de savoir si les combats conjointement menés par le Hezbollah et l’armée syrienne contre les terroristes pouvaient embarrasser le Premier ministre lors des ses pourparlers avec l’administration US, le ministre d’État pour les Affaires des réfugiés, Mouïn Merhebi, a répondu par la négative avant de relever que « cette bataille n’embarrasse que ceux qui l’ont lancée et qui sont à l’origine de la présence des réfugiés syriens au Liban ».