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De la tempête au vent du désert

Aussi soudainement qu’elle a commencé, « Tempête de la fermeté » a pris fin hier soir par un communiqué du ministère saoudien de la Défense. La nouvelle est tombée comme la foudre, surtout que quelques minutes auparavant, le roi Salmane avait ordonné la participation aux combats de la Garde des frontières, relevant traditionnellement du ministère de l’Intérieur. Ce qui aurait pu laisser supposer que la guerre allait se poursuivre par une offensive terrestre. Mais le communiqué du ministère de la Défense disait nettement autre chose… Aussitôt, les partisans des Saoudiens et ceux d’Ansarullah, au Liban, ont commencé à parler de victoire, exactement comme c’était le cas à partir du 14 août 2006, après « la cessation des hostilités » entre le Liban et Israël. Le débat se poursuit d’ailleurs encore aujourd’hui et il est fort probable que la polémique au sujet du Yémen et du bilan de la tempête durera encore très longtemps.
On peut toutefois rappeler certains faits. « Tempête de la fermeté » a commencé il y a 28 jours, lancée à partir de Washington par l’ambassadeur d’Arabie aux États-Unis et elle a pris fin par le biais d’une déclaration du ministre adjoint iranien des Affaires étrangères Hussein Amir Abdellahyane, qui avait été le premier à annoncer mercredi dans la journée la conclusion imminente d’un cessez-le feu. Ce rappel est significatif dans la mesure où il résume le nouveau rapport des forces dans la région. En clair, il montre que l’offensive lancée par l’Arabie saoudite avait l’aval des États-Unis, mais qu’elle a pris fin parce que l’Iran a exprimé des menaces très précises d’intervention directe au Yémen. Des sources diplomatiques au Liban précisent ainsi que l’Iran a envoyé des navires de guerre au large de Bab el-Mandeb et qu’il a fait savoir aux Américains et aux Européens par la voie diplomatique qu’il est prêt à s’engager directement dans le conflit qui se déroule au Yémen si rien n’est fait pour arrêter les bombardements contre Ansarallah et la population. Les menaces iraniennes ont été prises au sérieux et les États-Unis ont à leur tour envoyé des navires de guerre dans la région, non pas pour se battre mais pour empêcher l’éclatement d’une guerre. La volonté américaine était claire : les Américains ne souhaitent pas un conflit régional généralisé. En même temps, les mêmes sources diplomatiques révèlent que les bombardements aériens saoudiens avaient épuisé toutes leurs cibles potentielles sans parvenir à faire céder Ansarullah ou à les défaire militairement en les contraignant à se retirer des villes et des régions passées sous leur contrôle. Si la guerre contre le Yémen devait se poursuivre, il fallait donc recourir à une offensive terrestre, puisque près de 2 500 raids aériens en 27 jours n’avaient pas donné de résultat décisif et concluant. Or, justement, cette offensive à laquelle les dirigeants saoudiens tenaient particulièrement n’a pas été possible, en raison du refus du Pakistan et de l’Égypte d’y participer. Le Parlement pakistanais avait voté contre une telle participation invoquant la guerre qui se déroule sur son territoire dans la province du Waziristan, proche de l’Afghanistan, contre les talibans, alors que le pays est aussi en état d’alerte face à l’Inde au Cachemire. De même, les Égyptiens ont invoqué leur combat contre les terroristes de l’intérieur et au Sinaï pour expliquer leur refus de se lancer dans une offensive terrestre au Yémen. D’ailleurs, par la voix de certains responsables aux Émirats, les Saoudiens ne se sont pas privés de critiquer l’attitude des Pakistanais et des Égyptiens. Sans rien changer à la position de ces pays.
Face à ces développements à la fois politiques et militaires, « Tempête de la fermeté » s’est donc terminée en queue de poisson et avec suffisamment de flou pour permettre aux deux camps de parler de victoire. Il est sans doute trop tôt pour établir les bilans de cette guerre qui a failli embraser toute la région, mais il est clair que, pour l’instant, le président considéré comme légitime par l’Arabie, Abed Rabbo Mansour Hadi, n’est toujours pas rentré au Yémen et que les forces de l’armée qui lui sont hostiles avec les combattants d’Ansarullah continuent de contrôler la capitale Sanaa et la ville stratégique de Aden à quelques kilomètres de Bab el-Mandeb.
Les sources diplomatiques au Liban estiment qu’au cours de la prochaine étape, la partie pourrait être très serrée. Les Saoudiens essaieront ainsi d’obtenir par les négociations et les pressions ce qu’ils n’ont pu arracher par le biais des bombardements aériens. Ils pourraient donc tenter d’obtenir l’allégeance de certaines tribus yéménites et d’affaiblir ainsi le camp adverse de l’intérieur. D’autant qu’en général, c’est après les guerres militaires qu’apparaissent les divisions politiques et les règlements de comptes internes. L’exemple du Liban après la guerre de 2006 est d’ailleurs concluant à ce sujet, mais il n’est pas le seul. Dans un pays épuisé et détruit, il est plus facile de diviser la population meurtrie et de laisser parler les mécontents et les laissés-pour-compte…
La guerre du Yémen n’est donc pas finie, mais elle prendra désormais un nouveau visage, sans doute plus subtil, mais tout aussi destructeur. L’élément positif reste toutefois qu’après ces développements et ce que l’Arabie considère comme un rééquilibrage régional, les dirigeants saoudiens et les responsables iraniens pourraient enfin entamer un dialogue dont les bénéfices pourraient s’étendre à toute la région. Les Iraniens, de leur côté, ont toujours appelé au dialogue et aux solutions politiques, tant au Yémen qu’en Syrie, mais c’est l’Arabie et avec elle le Conseil de coopération du Golfe qui refusaient. La tempête dans le verre d’eau sanglant du Yémen pourrait donc permettre un déblocage à ce niveau…