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Entre le CPL et Amal, une guerre des mots et une médiation discrete

Suzanne BAAKLINI 

Après une journée de tensions dans les rues lundi, les yeux étaient rivés hier sur la déclaration finale suite à la réunion du bloc du Changement et de la Réforme, qui s’est tenue exceptionnellement au siège du Courant patriotique libre dans le secteur de Mirna Chalouhi, à Dekouané. Cette réunion était cruciale au lendemain des manifestations de colère des partisans d’Amal, en réaction à des propos qui avaient « fuité » du président du CPL, le ministre Gebran Bassil, dans lesquels il traitait de « voyou » Nabih Berry, président du Parlement et chef d’Amal.
Le communiqué lu par le député Ibrahim Kanaan hier n’aura finalement apporté qu’un apaisement relatif à une situation déjà explosive : aucun mot d’excuse, mais une simple « réponse favorable à l’appel du président de la République Michel Aoun, en faveur du calme et de la tolérance » entre les deux parties, après ce que le chef de l’État a appelé « une grande erreur faisant suite à une erreur ».
La guerre des mots entre les deux parties et les manifestations (plus sporadiques que la veille) des partisans d’Amal dans les rues se sont néanmoins poursuivies toute la journée. Est-ce à dire que les contacts sont définitivement rompus entre les deux parties ? Des sources bien informées indiquent à L’Orient-Le Jour que le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, effectue une médiation entre Baabda et Aïn el-Tiné, à la recherche d’une formule pouvant servir de sortie de crise, tout en sauvant la face aux deux protagonistes.
Entre-temps, la confrontation directe entre les deux principaux protagonistes ou leurs proches collaborateurs pourra être évitée cette semaine, ce qui calme relativement le jeu : d’une part, les réunions des commissions parlementaires ont été gelées hier, et risquent de l’être les prochains jours. D’autre part, aucune réunion du Conseil des ministres n’est prévue ce jeudi, en raison du voyage du Premier ministre Saad Hariri en Turquie, où il s’est rendu depuis hier (un déplacement décidé de longue date). Il s’agit à coup sûr d’un gel des institutions dont le Liban se serait bien passé, mais aussi d’un répit dans cette guerre de déclarations qui dure depuis longtemps, et dont cette nouvelle crise n’est que le dernier épisode…

À Abidjan malgré tout… 
Rappelons enfin que le conflit entre MM. Bassil et Berry était parvenu jusqu’à Abidjan : la capitale ivoirienne doit accueillir les 2 et 3 février prochain, cette semaine donc, un congrès pour les émigrés libanais organisé par le ministère des Affaires étrangères. De nombreux membres de la communauté libanaise de Côte d’Ivoire menaçaient déjà de boycotter ce congrès, en harmonie avec les prises de position du chef du Parlement. C’est d’ailleurs en référence à des « pressions » que celui-ci auraient exercées contre certains Libanais d’Abidjan que le ministre Bassil l’a traité de « voyou » dans la fameuse vidéo qui a fuité. Cette communauté avait haussé le ton hier, revendiquant une énième fois le report de ce congrès et conseillant au ministre de ne pas faire le déplacement, lui promettant un accueil glacial (dans des vidéos qui ont fait le tour du Net).
La décision de M. Bassil de se rendre à Abidjan n’en a cependant pas été affectée, selon la LBCI, puisque celui-ci compte prendre l’avion à la date prévue.
La confrontation sera-t-elle donc exportée à l’étranger ?

Des « no comment » et des manifestations
Auparavant, durant toute la journée, les déclarations des ténors d’Amal se sont succédé, notamment au Parlement après l’annulation de la réunion des commissions mixtes (faute de quorum), pour revendiquer non moins que la démission du ministre des Affaires étrangères. À l’instar du député Anouar el-Khalil qui a estimé que « les excuses même ne suffisent plus » et que « les prises de position de M. Bassil mettent en péril la stabilité et la paix civile ». De son côté, le député Ali Bazzi, du même bloc, a fait allusion à « une volonté de M. Bassil de voir les élections (législatives de mai prochain) reportées, parce que ses calculs montrent que ce scrutin ne lui est pas favorable ». Il a lui aussi répété que « les excuses ne suffisent pas ».
Ces propos véhéments ont précédé la réunion du bloc du Changement et de la Réforme au siège du CPL, en présence de Gebran Bassil, qui est arrivé sous les applaudissements de ses partisans. Le communiqué lu par le député Ibrahim Kanaan insiste sur « la réponse favorable à l’appel du président à la tolérance et au calme », sans parler d’excuses, estimant que « M. Bassil a remédié au problème de la fuite (de la vidéo d’un meeting auquel il prenait part) sans que personne ne le lui demande, lorsqu’il a exprimé ses regrets ».
Au regard des mouvements de rue hier au cours desquels les partisans d’Amal ont insulté à maintes reprises tout l’entourage du ministre, le communiqué rappelle que « les Libanais sont égaux dans leur dignité, leurs droits et leurs devoirs ». M. Kanaan a d’ailleurs insisté à plus d’une reprise sur « le rôle du CPL dans l’édification de l’État et le maintien de la stabilité ».
Une source d’Amal, interrogée par L’OLJ sur la réaction du parti à ce communiqué, se contente de la réponse « pas de commentaire ». Une réponse qu’elle donne à toutes les questions qu’on lui pose, allant du sort des exigences de démission à la possibilité d’une escalade, précisant que du côté d’Amal, « on n’a pas commenté le message du président de la République, on n’a aucune raison de commenter celui du CPL ».
Du côté du CPL également, à une question de L’OLJ, on répond « aucun commentaire », se limitant au communiqué publié à la fin de la réunion.
Entre-temps, ni la guerre des mots ni les manifestations ne se sont interrompues. Une guerre des mots portée à son paroxysme par un tweet du fils du ministre des Finances, Ali Hassan Khalil (lui-même grand cadre d’Amal) : « Maudite soit cette époque où l’on a dû accepter que l’agent Michel Aoun soit élu président de la République du Liban résistant. » Sur un autre plan, un tweet du député Sleiman Frangié, allié de Nabih Berry qui ne fait aucun mystère de ses différends avec le président du CPL, a traité ce dernier de « nain qui, au coucher du soleil, voit son ombre grandir ».
Et, comme un écho à ce « no comment » énigmatique d’Amal, et bien que les sources de Aïn el-Tiné aient assuré à l’agence al-Markaziya « n’être pas favorables au recours à la rue », les manifestations de soutien au président du Parlement ne se sont pas interrompues hier, se poursuivant dans la capitale et les régions après avoir failli paralyser le pays lundi.
À Beyrouth, les manifestants ont coupé brièvement la route au niveau du tunnel de Salim Salam (qui mène vers le sud et l’aéroport) et ont sillonné en moto plusieurs axes de la capitale. Dans la journée et en soirée, des manifestants ont brûlé des pneus en plusieurs endroits de la région de Baalbeck, dans la Békaa. Un rassemblement avec drapeaux de parti et portraits de Nabih Berry a également eu lieu à Haret Saïda (Sud), et des banderoles avec des slogans favorables au président du Parlement ont été observées jusqu’à Tripoli (Nord).
Cette confrontation, qui dure depuis très longtemps en sourdine, est probablement exacerbée par la proximité des élections. Mais quelles répercussions à long terme sur la rue, très agitée depuis deux jours ?