IMLebanon

La boule de feu qu’on ne sait plus comment éteindre…

DÉCRYPTAGE

 

Il n’y a que ceux qui se cachent derrière les monceaux d’ordures qui ne comprennent pas encore que le Liban est au bord d’une révolte populaire. Même les citoyens les plus pacifiques et les moins politisés sont en colère contre l’inconscience de la classe dirigeante, qui continue à ne se soucier que de ses intérêts propres ou à se laisser terrasser par l’impuissance, au lieu d’agir efficacement pour régler cette crise inacceptable. Les Libanais, tous bords et toutes tendances confondus, veulent exprimer leur frustration, et seule une solution radicale, efficace et transparente pourrait les en empêcher.

Mais tout ce qu’a trouvé la classe dirigeante, c’est, d’une part, utiliser la présence de « casseurs » pour évoquer un vaste complot « irano-hezbollahi » contre elle et occulter ainsi la véritable raison de la colère populaire, et, d’autre part, tenter d’effrayer les gens en brandissant le spectre des casseurs et en même temps en tirant des balles réelles contre les manifestants. Mais selon les organisateurs de la manifestation de demain, ces manœuvres n’ont aucun effet sur la détermination des gens à descendre dans la rue. D’autant que la crise dite des déchets se poursuit sans perspective réelle de solution et avec de simples mesures d’urgence qui ne règlent pas le problème. Le cafouillage officiel dans l’annonce des résultats de l’appel d’offres puis le retrait de toute l’opération sont la preuve de l’incompétence de cette classe dirigeante qui croit pouvoir encore faire illusion auprès des citoyens. L’affaire des déchets, qui, selon les milieux du CPL, a d’abord été accueillie favorablement par certains milieux politiques pour entraver l’action de protestation dans la rue planifiée par le CPL et pour faire passer au second plan les revendications du général Michel Aoun au sujet du mécanisme de fonctionnement du gouvernement, des nominations militaires et d’autres sujets, est devenue un véritable casse-tête, voire une boule de feu qu’on ne sait plus comment éteindre.
Pourtant, au lieu de songer à resserrer les rangs internes pour trouver des solutions et contenir la colère populaire, la première réaction du gouvernement a été d’ignorer les revendications des ministres du bloc du Changement et de la Réforme appuyés par ceux du Hezbollah, et de faire comme si leur retrait de la séance était un détail. C’est un peu comme si l’histoire se répétait et comme si le scénario du gouvernement Siniora en 2007-2008 après le retrait des ministres chiites se reproduisait. Ce gouvernement amputé d’une composante importante avait à l’époque continué à se réunir et à prendre des décisions, en dépit des manifestations populaires et du sit-in au centre-ville… jusqu’à la grande crise provoquée par la décision au sujet du réseau de télécommunications du Hezbollah qui avait abouti au fameux 7 Mai, qui a lui-même entraîné la réunion de Doha. À cette époque, le Premier ministre Fouad Siniora et son camp n’avaient rien voulu entendre, considérant que les manifestations populaires et le sit-in étaient le maximum que pouvait faire le Hezbollah.
Aujourd’hui, certaines parties au sein du gouvernement semblent vouloir rééditer le même scénario. Au lieu de comprendre que le général Aoun exprime un véritable malaise, elles comptent ses partisans et en concluent qu’il ne peut plus mobiliser la rue. Elles créent aussi la crise des déchets pour entraver son action et découvrent qu’elle se retourne contre eux. Elles font fi des messages de soutien à l’action du général adressés par le Hezbollah. Leurs médias traquent les partisans du Hezbollah dans les manifestations pour parler de complot iranien, mais ne comprennent pas que si le Hezbollah voulait envoyer ses partisans pour infiltrer la manifestation, il n’aurait pas besoin de les pousser à montrer leur allégeance. Au contraire, les quelques manifestants du Hezbollah qui sont descendus dans la rue disaient à la classe politique : « La prochaine fois, nous serons là. Nous ne laisserons pas le général Aoun seul. » Ce message a même été clairement délivré par un responsable du Hezbollah au Premier ministre et à Walid Joumblatt. Au lieu d’en tenir compte, les faucons du courant du Futur ont misé sur le fait que le président de la Chambre n’a pas demandé à ses ministres de se retirer de la réunion. Leurs médias ont même parlé d’un revirement du mouvement Amal qui devrait bientôt rallier le 14 Mars. Qu’il s’agisse d’un partage des rôles destiné à donner une chance à un changement d’attitude et à l’ébauche d’un dialogue réel avec les autres composantes du gouvernement ne leur effleure pas l’esprit. Pourtant, selon les proches de Aïn el-Tiné, l’attitude de Nabih Berry est due au fait que nul n’a envie d’aboutir à une coupure totale ni de plonger le pays dans la tourmente. Aussi bien Aoun que le Hezbollah cherchent à éviter la cassure et estiment que si Berry retire ses ministres du gouvernement, le point de non-retour sera très proche. Ce souci de ne pas aller jusqu’au bout n’est pas le signe d’une faiblesse ou d’une crainte des foudres internationales si le gouvernement devait démissionner. Il est simplement l’expression de la conviction de ces deux parties que le dialogue est le meilleur moyen de régler les problèmes. De plus, pour Aoun et le Hezbollah, Tammam Salam n’est pas Fouad Siniora. Preuve en est qu’il a décidé de geler la publication des décrets adoptés mardi en l’absence des ministres du Hezbollah et du bloc du Changement et de la Réforme. Le problème ne vient d’ailleurs pas du Premier ministre, mais de ceux qui le poussent à refuser de faire la moindre concession et qui continuent à croire qu’une partie peut ignorer l’autre au Liban…