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La présidence peut attendre…

Depuis le 25 mai, le Liban est entré dans une période de vacance à la tête de l’État. C’était certes le scénario le plus probable étant donné le contexte local et régional, mais ce qui n’était qu’un simple pronostic est devenu une réalité avec laquelle il faut composer. Toutes les démarches du patriarche maronite Mgr Béchara Raï pour éviter cette vacance ont échoué et sa colère, que des visiteurs pleins de bonne volonté (comme l’ancien ministre Abdallah Farhat) ont tenté de calmer en jouant aux pompiers, n’a servi à rien. Si, aujourd’hui, les deux camps rivaux se lancent des accusations sur la responsabilité de cette vacance, aucun d’eux n’entreprend des mesures concrètes pour sortir de l’impasse. Mais derrière le tapage médiatique et les polémiques politiques, des contacts relativement discrets se poursuivent entre le bloc du Changement et de la Réforme et le courant du Futur. Contrairement aux rumeurs répandues par certaines forces au sein du 14 Mars, ces contacts se consolident de plus en plus et sont très fructueux sur le plan de l’action gouvernementale. Une nouvelle rencontre entre le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil et le chef du courant du Futur Saad Hariri serait d’ailleurs prévue prochainement.
Des sources du 8 Mars sont d’ailleurs convaincues que c’est maintenant que les négociations sérieuses vont commencer. Selon ces mêmes sources, jusque-là, Saad Hariri était plein de bonne volonté, mais il est apparu incapable de décider seul du sort de l’échéance présidentielle. Il doit non seulement tenir compte de ses alliés au sein du 14 Mars, mais aussi obtenir l’aval de l’Arabie saoudite. En attendant, il a préféré privilégier le maintien de la cohésion au sein du 14 Mars en appuyant la candidature du chef des Forces libanaises, quitte à retirer cet appui le cas échéant. Pour les sources proches du 8 Mars, tant que Hariri appuie la candidature de Samir Geagea, il n’y aura pas d’élection, sachant que le chef des Forces libanaises est le seul candidat déclaré qui ne cherche pas le consensus et qui annonce ouvertement sa volonté d’en finir avec les armes de la résistance « pour édifier l’État, au lieu des mini-États ». Le contexte actuel, tant local, à travers le gouvernement rassembleur dans lequel la plupart des parties politiques sont représentées, qu’international, se dirigeant vers la conclusion de compromis et l’ouverture de négociations sérieuses, Geagea ne correspond donc pas au profil présidentiel recherché pour la période actuelle et pour le proche avenir. Sa candidature est donc une candidature de défi qui, dans les circonstances actuelles et avec l’exigence d’un quorum des deux tiers (86 députés) pour la validation de la séance parlementaire, n’a aucune chance d’aboutir à son élection. Selon les sources du 8 Mars, Geagea occupe donc la scène médiatique dans le seul but d’entraver un éventuel accord entre Hariri et Aoun sur la présidence. Et ses alliés le laissent faire parce que l’heure de « la grande décision » n’a pas encore sonné.
Les sources du 8 Mars révèlent ainsi que les personnalités qui ont rencontré récemment Saad Hariri seraient revenues avec une impression favorable au sujet d’une éventuelle élection du général Aoun à la présidence. Bien que les questions posées à Saad Hariri étaient directes, ses réponses étaient nuancées et le chef du courant du Futur aurait répondu à ses visiteurs : « Je veux pour les chrétiens un président fort pour ne pas qu’il leur arrive ce qui est arrivé aux sunnites avec la désignation de Nagib Mikati à la présidence du Conseil et le sentiment de frustration qu’elle a engendré au sein de la communauté. » En même temps, Hariri aurait fait l’éloge de Bassil, poussant ses interlocuteurs à coopérer avec lui.
En dépit de ces signaux positifs, les sources proches du 8 Mars estiment que Saad Hariri n’est pas en mesure de donner une réponse définitive au sujet de la présidentielle sans consulter les autorités saoudiennes. Or celles-ci ont longtemps gardé le silence, se contentant de déclarations diplomatiques générales dans le genre « l’Arabie ne se mêle pas des questions internes libanaises », tout en poussant discrètement vers la prorogation du mandat de Michel Sleiman, avec l’aval de certaines capitales occidentales. Ce n’est que très récemment que dans ses rencontres avec les responsables libanais, et notamment avec le patriarche Raï, l’ambassadeur saoudien à Beyrouth a commencé à poser des questions précises sur « la signification du concept de président fort », sur « la possibilité de revoir les prérogatives du président et par là même de remettre en cause l’accord de Taëf », sur « la future loi électorale et les chances du projet dit grec-orthodoxe »… Les sources du 8 Mars estiment donc que n’ayant pas pu assurer une prorogation du mandat de Sleiman, les autorités saoudiennes sont inquiètes de perdre une partie de leur influence au Liban, obtenue par le biais de l’accord de Taëf, si un « président fort » décidé à revoir les prérogatives du président était élu. Cette inquiétude se serait renforcée après la publication des résultats des élections législatives irakiennes, dans lesquelles le bloc de Ayad Allaoui, l’allié de l’Arabie, a dramatiquement perdu une grande partie de ses sièges parlementaires. C’est dans ce contexte que les sources proches du 8 Mars placent la visite du Premier ministre Tammam Salam en Arabie à la veille de la vacance à la tête de la République. Il s’agirait donc d’un message saoudien clair d’appui au Premier ministre en l’absence d’un président de la République. Les sources proches du 8 Mars estiment toutefois que les Saoudiens attendent surtout des réponses de la part des Iraniens. Or ceux-ci ne semblent pas pressés d’entamer des discussions avec les autorités saoudiennes sur les dossiers conflictuels, donnant la priorité aux négociations avec les pays occidentaux sur le dossier nucléaire iranien. La présidence libanaise peut donc attendre…