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Le grand bond en arrière…  

Sandra NOUJEIM 

Une impression de renouveau, mais seulement une impression, s’est dégagée hier de l’hémicycle au moment où y prenaient place les 128 députés nouvellement élus, dont 63 nouveaux venus. Près d’une heure avant la séance inaugurale, chacun trouvait ou retrouvait son siège dans une ambiance bon enfant, les salutations se multipliant, les sourires primant. Le plan des sièges, resté le même pour les principaux groupes parlementaires, a vu des membres nouveaux côtoyer les anciens… Mais l’ancien a vite pris le dessus.
Si de nouveaux groupes parlementaires se sont formés, ils l’ont été autour de figures réélues, comme Nagib Mikati, qui a vite trouvé sa place en s’installant à la première rangée au centre, avec son collègue du bloc, Jean Obeid. Entre eux, le député Ibrahim Kanaan. Une place qu’il cèdera à Nabih Berry au moment de son entrée à l’hémicycle, simultanément avec celle du Premier ministre, Saad Hariri. Ce dernier a accompagné depuis son domicile le doyen de la Chambre, Michel Murr, président de la séance jusqu’à l’élection du nouveau chef du législatif.

Berry favorisé par les votes du « Liban fort » 
La place qu’a choisie Nabih Berry pour s’asseoir en attendant sa réélection est celle que le président de la République Michel Aoun avait l’habitude d’occuper dans l’ancienne Chambre, alors qu’il était chef du groupe du Courant patriotique libre. C’est sur un ton badin que les membres du bloc Amal, assis à l’extrême droite, ont fait mine de lui reprocher de ne pas les rejoindre. Le choix de Nabih Berry a signalé la nouvelle page qui s’ouvre entre lui et le CPL, depuis sa rencontre avec le chef de l’État au lendemain des législatives. Cette nouvelle page est plutôt un retour à la période du 8 Mars soudé autour de l’accord de Mar Mikhaël, c’est-à-dire la période antérieure à l’élection de Michel Aoun.
La séance a vu d’ailleurs des clins d’œil échangés entre Amal et le Hezbollah – dont les rapports avaient été troublés par la résurgence des figures pro-Damas, chapeautées par Jamil Sayyed. Ce dernier a été le seul parmi les députés qui ont salué M. Berry par un geste de la main après avoir déposé leur vote dans l’urne à ne pas obtenir de réplique de la part du président de la Chambre.
Après avoir été salué par Michel Murr pour « son patriotisme, son courage et sa modération dans la gestion du travail parlementaire depuis 1992 » et « le travail d’orfèvre par lequel il a prémuni le Liban des dangers », Nabih Berry a été reconduit sans surprise à la présidence de la Chambre pour la sixième fois, avec un large nombre de voix : les pointages lui donnaient 81 sans les votes des 28 membres du bloc élargi du CPL – pour qui le choix a été donné entre le vote pour Berry ou le vote blanc. Sachant que les Kataëb ont décidé de voter blanc pour la présidence de la Chambre, on peut présumer, par calcul arithmétique, que 17 des membres du groupe aouniste auraient voté en faveur de M. Berry. Les pointages auraient donné un chiffre estimé entre 17 et 18, apprend-on de source autorisée. Il n’est pas sûr toutefois qui, des partisans ou des indépendants de ce bloc, ont voté pour Nabih Berry. Selon nos informations, les trois députés Tachnag, ainsi que Chamel Roukoz (considéré comme non partisan) et Michel Daher ont donné leur vote à M. Berry.

Les votes pro-Ferzli : un désengagement du Futur ? 
L’impression de renouveau a été aussi minée par des déjà-vu remontant à la période antérieure à l’intifada de l’Indépendance, avant le 14 février 2005.
La présence de quinze revenants, dont une majorité de figures pro-Damas, était particulièrement l’illustration d’un grand bond en arrière aux temps sinistres de la tutelle syrienne, voire d’« un retour à l’occupation », mais cette fois iranienne, « renforcée par la dictature du mandat », selon le député Nadim Gemayel à L’Orient-Le Jour. Ces champions de Damas étaient en partie regroupés autour de Jamil Sayyed, près duquel était assis Abdel Rahim Mrad, dans les rangées supérieures à droite du groupe du Hezbollah.
C’est l’une de ces figures, Élie Ferzli – qui a choisi le siège isolé à gauche du groupe du parti chiite – que le Parlement a élu hier à la vice-présidence de la Chambre, et avec un nombre de votes supérieur à celui qui était prévu.
M. Ferzli a ainsi obtenu 80 voix, face à son seul rival, le candidat des Forces libanaises, Anis Nassar, qui en a obtenu 32, un nombre inférieur aux pronostics. Le reste des bulletins compte 8 votes blancs, quatre votes pour Nicolas Nahas (manifestement les votes du groupe al-Azm, dont il fait partie), un vote pour Paula Yaacoubian – qui n’est pas le sien – et deux bulletins annulés (l’un pour Charles Malek, l’autre pour Nadine Labaki). Ces résultats posent une question sur l’engagement du bloc parlementaire du Futur (20 députés) en faveur des FL. Celui-ci a en effet déclaré qu’il voterait pour Anis Nassar, ce qui devait donner à ce dernier, si l’on y ajoute le bloc FL (15 membres), un résultat d’au moins 35 voix. D’emblée, il manque donc trois voix, l’une d’elles étant manifestement celle de Nouhad Machnouk, qui s’est retiré de la séance au moment du vote. Sauf qu’il est établi que les Kataëb (trois députés) ont accordé leurs votes à M. Nassar, et le bloc joumblattiste (9 députés) cinq votes. Onze voix du groupe du Futur auraient donc possiblement manqué à l’appel.
Dans une déclaration visant à justifier son retrait de la séance, M. Machnouk s’est défendu de « ne pas vouloir voter pour Ghazi Kanaan » à la vice-présidence de la Chambre, laissant entendre que le leader du courant du Futur a donné des directives de vote en faveur de M. Ferzli. On apprend toutefois de sources concordantes FL-Futur que la position de M. Machnouk ne devrait pas être lue comme un indicateur dans ce sens, mais plutôt comme une réaction à sa mise à l’écart par le leadership du courant du Futur dans le cadre de son ménage interne.

Bureau de la Chambre : l’équilibre des forces 
Il n’empêche que, selon une source du courant du Futur, le groupe de Saad Hariri – passé de 32 à 20 députés – ne peut pas se permettre de s’aventurer à ce stade dans une rupture avec le bloc aouniste, encore moins dans une bataille ouverte avec un 8 Mars consolidé. C’est ce qui expliquerait le litige FL-Futur non déclaré autour de l’un des deux postes de secrétaire du bureau de la Chambre. Les FL avaient en effet planifié de présenter la candidature d’un des leurs, Fadi Saad, à ce poste, pour succéder à Antoine Zahra. Il y aurait eu un premier accord entre les FL et Nabih Berry en sa faveur, renforcé par l’approbation de Michel Aoun, transmise aux FL par Saad Hariri. Ce n’est qu’à la veille de la séance que les FL auraient été informées de l’entente Berry-Aoun en faveur de l’élection d’Alain Aoun (CPL) à ce poste, sachant que le CPL n’a jamais été représenté au sein du bureau de la Chambre. Selon la source du Futur, un forcing du courant haririen en faveur du candidat des FL aurait compromis certaines assises du bloc, comme l’élection de Samir Jisr (courant du Futur) comme membre du bureau (il sera élu à mains levées avec Hagop Pakradounian du Tachnag et Michel Moussa d’Amal).
Seuls trois candidats ont fini par se présenter au poste de secrétaire : Alain Aoun, élu avec 84 voix, Marwan Hamadé, reconduit avec 76 voix, et Estephan Doueihy (Marada), candidat malheureux avec 42 voix. C’est à ce stade que la séance, qui touchait pourtant à sa fin, s’est corsée. M. Doueihy a tenu à dire que le nombre de voix qu’il a obtenu constitue une contestation de « l’accord qui prévaut », en allusion au package-deal entre Aïn el-Tiné et Baabda, dont l’un des effets serait l’élection d’Alain Aoun. Après lui, Marwan Hamadé a tenu à « remercier le Parlement pour avoir respecté le pacte national au niveau du bureau de la Chambre, en dépit des jeux auxquels d’aucuns se sont livrés ». Le message était adressé au CPL qui, à défaut de pouvoir torpiller la candidature de M. Hamadé, aurait œuvré à le faire élire avec le minimum de voix. Alain Aoun s’est empressé de répondre, par l’équivalent arabe de l’expression : « Et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? » Au moment où Nabih Berry se hâtait de lever la séance, Élias Bou Saab l’a interpellé sans autre motif que de lancer une pointe à M. Hamadé : « Est-il légal qu’un ministre qui expédie les affaires courantes soit élu au bureau de la Chambre ? »
On précisera enfin que Paula Yaacoubian (Sabaa) a fait le choix de se démarquer du lot en votant pour Nadine Labaki, aussi bien pour la présidence que la vice-présidence de la Chambre.