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Le patriarche et les pharisiens

Une « nouvelle approche » dans les rapports avec les Palestiniens de l’intérieur : c’est le modèle que vient de poser le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, en se rendant en Terre sainte, contre l’avis de certains pharisiens qui perpétuent avec leurs dogmes la dépossession rampante par l’État hébreu d’un espace de mémoire sacrée unique au monde.
Cette nouvelle approche était d’autant plus urgente que l’État israélien avance, à marche forcée, vers la proclamation de son « identité juive », au nom de laquelle il pourrait, à l’avenir, justifier toutes les exclusions, et même les déportations, sans parler de la judaïsation de Jérusalem.
C’est encore une fois Walid Joumblatt qui, le mieux, a su faire ressortir cette « nouvelle approche », en la mettant en contraste avec la vieille politique de boycottage suivie depuis des décennies, et que le patriarche a heureusement su rejeter.

 

Champ libre à l’occupant
« La politique de boycottage appliquée pendant des décennies a contribué à la perte de la Palestine, laissant le champ complètement libre à l’occupant, qui a réussi à pousser les Palestiniens à l’exode, à modifier la réalité sociale et démographique, et établir une entité artificielle qui s’est rapidement transformée en fait accompli à cause des défaites arabes successives, et a forcé le peuple palestinien à se battre seul pour ses droits légitimes », souligne, fort à propos, Walid Joumblatt (voir par ailleurs).
Par-delà les colères simulées ou réelles et certains excès rhétoriques – qui n’en a
pas? –, c’est d’abord sur cette « nouvelle approche » qu’il faut fixer le regard, pour apprécier à sa juste mesure l’extraordinaire et courageuse initiative que le patriarche a prise de se rendre en Israël, malgré le tabou du boycottage qui nous a rendu étrangers à un pays qui fut le nôtre.
Et ce qui est encore plus extraordinaire, c’est que la décision du patriarche est partie non d’une « idée » ou d’un « plan » politique, mais de considérations purement pastorales.

 

Un devoir de proximité
« Je suis le Bon Pasteur, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. » Voilà les termes pastoraux dont tout est parti, le geste humain qui a fini par revêtir une dimension politique prophétique. Car il y a un devoir de proximité que le patriarche devait assumer pour être fidèle à sa mission. Le patriarche, comme tout évêque, doit rester accessible, personnellement, à ses fidèles. Évidemment, il ne peut l’être toujours et partout, et c’est pourquoi il délègue ses pouvoirs.
Toutefois, il est des cas où son devoir le plus absolu est de se rendre visible et accessible, par exemple, dans des cas de souffrances extraordinaires et de grande vulnérabilité. Et c’est bien le cas des maronites d’Israël menacés culturellement et spirituellement, étrangers dans leur propre pays, spoliés de leurs terres et de leurs maisons.
Que parmi eux se trouvent des Libanais ayant fui le pays après le retrait israélien de 2000 ne change en rien la situation, bien au contraire. Tout comme il existe des négociations de paix entre les Palestiniens et l’État israélien, il doit en exister aussi entre les Libanais. Et l’établissement de relations personnelles est essentiel dans la recherche de toute paix. Il suffit, pour l’apprendre, de voir le pape inviter Mahmoud Abbas et Shimon Peres à venir prier au Vatican. Qu’en sortira-t-il ? Nous le saurons dans quelques jours. En Terre sainte, le patriarche pourrait bien avoir jeté les bases d’une révolution des relations personnelles qui, seule, pourrait sortir le Liban de l’impasse mortelle dans laquelle il se trouve.
Des journaux ont reproché au patriarche d’avoir, par son voyage, réveillé « les vieux démons de la guerre ». Ainsi, les démons ne faisaient que dormir ! La guerre, chez nous, n’est pas vraiment terminée. Ou, bien mieux, nous n’avons pas su la finir.
« Est-ce que les drames qui se sont produits sont plus grands que ceux qui se sont produits au Chouf ? » s’interroge une source ecclésiastique. Et d’enchaîner : « Nous n’avons pas encore été francs avec nous-mêmes. Nous n’avons pas reconnu nos fautes. Les atrocités, les erreurs, tous les Libanais s’en sont rendus coupables. Il faut un appel général à la réconciliation. Celle-ci n’a jamais eu lieu. Il n’y a jamais eu de volonté de règlement sincère de la part de l’État. Les tentatives qui se sont produites en 2005 entre le courant aouniste et le Hezbollah n’ont pas dépassé les vœux pieux. Rapatrier les femmes et les enfants, et laisser derrière les hommes, était-ce vraiment une solution ? Tout le monde a peur du Hezbollah, même les magistrats. Mais qui ne s’est pas trompé ? Pourquoi ne pas regarder les choses en face. Tout le Liban doit regarder la guerre en face. L’exemple de l’Afrique du Sud est là pour nous dire que c’est possible. La grande colère du patriarche vient du fait qu’il voit la dimension d’injustice dans ce dossier. »
Que ces quelques considérations jettent un nouvel éclairage sur le voyage en Terre sainte du patriarche, qui pourrait bien être le plus important qu’il ait fait à ce jour. Des voix se sont élevées pour lui demander de « s’excuser ». S’excuser de quoi ? « Pour quelle bonne œuvre que j’ai faite voulez-vous me tuer ? » a lancé le Christ aux pharisiens. Et les pharisiens, les bien-pensants de notre temps, sont aujourd’hui en chemise noire et de « gauche ».