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Les hésitations de la Chambre, entre la grogne populaire et la détermination du gouvernement…

Est-ce l’absence du président de la Chambre (retenu pour un deuil familial, son gendre étant décédé aux États-Unis) ? Toujours est-il que la séance parlementaire destinée à l’examen de 26 projets de loi, dont la nouvelle échelle des salaires, a été marquée par les interventions des députés, chacun plaidant pour sa région. L’insistance du Premier ministre a poussé les députés à entamer l’examen de la nouvelle échelle des salaires au cours de la séance du soir, sur fond de protestations de plusieurs catégories sociales.
En trois heures et demie (durée de la séance du matin, sachant que celle du soir a commencé à 17h), onze projets de loi ont été adoptés, mais la nouvelle échelle des salaires n’a pas été entamée, même si elle était présente dans tous les esprits et dans les protestations des manifestants place Riad Solh. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Premier ministre Saad Hariri a insisté sur la nécessité de commencer par cette question, assurant que c’est cela que les citoyens attendent des députés. Mais certains parlementaires ont préféré s’en tenir à l’ordre du jour qui leur a été distribué. De son côté, le vice-président de la Chambre Farid Makari a précisé que si on commence par l’échelle des salaires, une fois celle-ci terminée, il n’y aura plus de quorum dans l’hémicycle. Il a été finalement convenu de la laisser pour la séance du soir.
Installé dans le fauteuil occupé par Nabih Berry depuis 1992, M. Makari, qui a présidé la séance, avait du mal à contrôler la salle et surtout à imposer un rythme plus rapide aux débats, en dépit de tous ses efforts. Pressé de rappeler les députés qui prenaient un temps de parole trop long, il a lancé : « Nous avons aujourd’hui, demain et après-demain… » Ce qui a encouragé les parlementaires à s’exprimer en abondance. Un député a d’ailleurs déclaré à ses collègues : « On comprend mieux comment le président Berry est en place depuis si longtemps. Il a bien compris comment fonctionnent les députés et les ministres et sait remettre chacun à sa place. » Un autre a rétorqué, toujours en petit comité, qu’en assistant à cette séance, « on comprend mieux pourquoi il est nécessaire d’organiser des élections législatives au plus tôt. Les députés discutent de questions secondaires alors que les préoccupations des Libanais sont ailleurs. »
C’est d’ailleurs pour montrer qu’il est, lui, proche du peuple que le député hezbollahi Ali Ammar a déclaré, en parlant des manifestants place Riad Solh, que « les larmes qui coulent sur leurs visages se confondent avec l’eau qui tombe du ciel », arrachant des sourires aux députés dans la salle, sans pour autant les pousser à aller droit au but, c’est-à-dire à se préoccuper des projets de loi qui leur étaient soumis. Les interventions étaient si longues que certains se sont demandé s’il n’y avait pas un accord tacite entre le gouvernement et le Parlement pour gagner du temps et éviter ainsi d’adopter la nouvelle échelle des salaires. Mais cette hypothèse a été totalement rejetée par le ministre de l’Industrie Hussein Hajj Hassan, qui a estimé qu’il était inadmissible d’empêcher les députés de s’exprimer et de donner leur point de vue…

La patience de Hariri
C’est donc sur la base de ce principe que la première partie de la séance qui s’est ouverte à 11h a été consacrée aux discours des députés. Ce qui a permis à certains d’entre eux d’évoquer les problèmes inhérents à leur circonscription, alors que le chef des Kataëb, Samy Gemayel, a confirmé sa position d’opposant, en soulevant des questions portant sur plusieurs sujets critiques pour le gouvernement, dont l’ouverture d’échoppes pour les réfugiés syriens dans toutes les régions du pays au détriment des Libanais, ainsi que les différents projets de loi électorale. Le député Boutros Harb a réussi à mettre le gouvernement en difficulté en axant ses questions sur l’avenir du Parlement si une nouvelle loi électorale n’était pas adoptée. Mais en même temps, il a tenté d’aider le vice-président de la Chambre Farid Makari dans la direction de la séance.
Serge Torsarkissian, qui joue habituellement le rôle de frondeur face au président de la Chambre, n’a pas trop allongé son intervention, se contentant de soulever la question de la corruption. Et Georges Adwan lui a répondu : « Si on arrête la dilapidation des fonds publics et la corruption, on pourrait financer trois nouvelles échelles des salaires! » Les députés (du moins une grande partie d’entre eux) se sont alors élevés en chœur contre la corruption et la dilapidation des fonds… Émile Rahmé a soulevé la question des salaires des magistrats, assurant que ceux-ci ne peuvent pas être traités comme de simples fonctionnaires, mais dans les coulisses de l’hémicycle, des rumeurs ont couru sur un possible règlement de cette question par le biais du ministre de la Justice Salim Jreissati, en coopération avec le Conseil supérieur de la magistrature. Quant au député (PSP) Akram Chehayeb, il a rappelé le fait que la question des ordures ménagères n’a pas encore été réglée et qu’elle pourrait redevenir d’une désagréable actualité dans un proche avenir…
Face à toutes ces questions, destinées en principe à le mettre en difficulté, le Premier ministre a conservé un calme olympien, faisant preuve d’une grande patience. Comme des députés précisaient que certains projets de loi ont été présentés par le précédent gouvernement, Saad Hariri a affirmé que son gouvernement les a confirmés. Ce qui a poussé Boutros Harb à préciser que le gouvernement n’a pas à confirmer les projets présentés par celui qui l’a précédé, car s’il ne les adopte pas, il demande leur retrait.
Les onze projets de loi adoptés au pas de charge portent essentiellement sur des projets d’infrastructure financés par des crédits ou des aides étrangères, dont le barrage de Bisri à la porte du Liban-Sud. Ils ne comportaient pas d’éléments conflictuels, mais ils ont quand même donné l’occasion aux différents blocs parlementaires de réclamer des projets similaires dans leurs régions respectives. Khaled Daher a fait ainsi un discours sur l’état des routes dans le Akkar, dans le but évident de mettre en difficulté le ministre originaire de la même région Mouïn Merhebi. Mais ce dernier est resté imperturbable et c’est le député membre du bloc du Futur Kazem Kheir qui a pris le relais pour ne pas laisser à Khaled Daher le monopole des réclamations pour le Liban-Nord…
Nouveau mandat et gouvernement de coalition obligent, les antagonismes traditionnels n’étaient pas perceptibles. Il y a même eu, dans un coin de la salle, une réunion improvisée entre les ministres Bassil et Jreissati (aounistes) avec les députés Georges Adwan (FL) et Ali Fayad (Hezbollah), auxquels s’est joint Melhem Riachi (FL). De même, Ibrahim Kanaan (CPL) et Ali Hassan Khalil (Amal) ont eu un aparté, alors que Ali Ammar a rendu hommage au Premier ministre pour ses positions à l’égard des violations israéliennes de la résolution 1701. Le député Okab Sakr n’a pas participé aux débats… Seuls Samy et Nadim Gemayel semblaient déterminés à ne mettre aucun bémol à leurs critiques du « pouvoir ».
Mais les Libanais attendent plus qu’une bonne ambiance. Ils veulent du concret. Et pour la première fois, les députés semblent plus craindre la colère de la population que celle des partis politiques.