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Aoun et le CPL : une course vers l’isolement ?

Ce n’est pas la guerre, mais c’est quelque chose qui lui ressemble. Cette impression se dégage des derniers développements liés aux tractations actuellement en cours pour la formation du futur gouvernement. Celles-ci sont laissent croire que le Courant patriotique libre semble mener bataille seul face au courant du Futur, aux Forces libanaises et au Parti socialiste progressiste. Il ne bénéficie pas pour autant, au moins jusqu’ici, d’un appui clair et franc de la part de celui qui fut son principal allié, le Hezbollah, à l’heure où le chef du législatif, Nabih Berry, renforce minutieusement ses rapports avec les FL, tout en maintenant le flou autour de sa position quant à la politique du CPL.

Il devient de plus en plus évident que l’immobilisme auquel fait face le processus gouvernemental dépasse les querelles articulées autour des quotes-parts gouvernementales respectives et atteint les rapports politiques entre les aounistes, d’une part, et l’écrasante majorité des protagonistes.

On en veut pour preuve la toute dernière bataille autour des prérogatives constitutionnelles du chef de l’État et du Premier ministre désigné à laquelle se sont livrés mardi les milieux du CPL et du courant du Futur. Lors de cet échange à fleurets mouchetés, le parti de Gebran Bassil s’est trouvé en confrontation directe avec la formation de Saad Hariri, pour la toute première fois depuis la mise sur pied du compromis politique de 2016 qui a donné le coup d’envoi au mandat Aoun. Une querelle à laquelle nombre de ténors de la communauté sunnite, dont certains anciens Premiers ministres et de farouches opposants à Saad Hariri à l’instar de l’ancien ministre de la Justice Achraf Rifi, mais aussi des sunnites ne gravitant pas dans son orbite, n’ont pas tardé à se joindre pour mettre en garde contre « toute tentative de porter atteinte à la présidence du Conseil ». Une allusion à peine voilée à la référence faite par le bureau de presse de Baabda, dans un communiqué publié lundi à l’issue de l’entretien entre Michel Aoun et Saad Hariri, à certains « critères » pour la mise sur pied du cabinet. Dans les milieux proches de Baabda, on souligne que c’est à cause de l’absence de ces critères que M. Aoun a rejeté la dernière mouture que lui a remise le Premier ministre désigné.

Selon les fuites dans la presse, cette mouture accorde quatre portefeuilles dits « consistants » aux FL, conformément à ce que demande Meerab, et attribue au parti de Walid Joumblatt les trois portefeuilles druzes qu’il réclame, contrairement à la volonté du locataire de Baabda et du chef du CPL, d’où les nœuds chrétien et druze qui entravent encore la formation de l’équipe ministérielle Hariri. Et pour cause : fort des résultats des dernières élections législatives, Walid Joumblatt estime qu’il lui revient de nommer les trois ministres druzes dans une formule de trente. En face, Gebran Bassil insiste à intégrer le principal rival druze de M. Joumblatt, le chef du Parti démocrate libanais, Talal Arslane, au sein du gouvernement en arguant, lui aussi, des résultats du scrutin de mai.

Pour ce qui est de la querelle CPL-FL, le parti de Samir Geagea poursuit son forcing en faveur de ce qu’il appelle « une représentation gouvernementale conforme au poids populaire des FL issu des dernières élections législatives ». Après avoir renoncé à un portefeuille régalien et à la vice-présidence du Conseil, la formation a demandé quatre portefeuilles dits « consistants », sans un ministère d’État (jugé d’importance mineure). Une proposition qu’a refusée Michel Aoun et le parti qu’il a fondé. Ce qui est à même d’expliquer la détérioration (supplémentaire) des rapports entre les deux partenaires chrétiens.

« Défendre les droits »

Cette convergence entre le PSP, les FL et le Futur sur le fait de faire face à l’attitude adoptée par le CPL et son chef sur le plan des négociations gouvernementales est, à n’en point douter, à même de susciter des interrogations autour d’une éventuelle alliance politique à long terme qui anéantirait le compromis politique de 2016 et mettrait le CPL au pied du mur.

Mais dans les milieux des trois formations concernées, on met les points sur les « i » : il n’est pas question de tenter d’isoler le courant aouniste, mais il s’agit de défendre les droits de ces formations à une bonne représentation gouvernementale.

Un cadre FL assure à L’Orient-Le Jour que le parti n’a pas pris la décision d’entreprendre une escalade face au CPL. « Nous sommes attachés au compromis présidentiel », affirme-t-il. Il souligne, toutefois, que les FL continueront à faire face aux « tentatives de Gebran Bassil de réduire (leur) poids politique ». « C’est l’impasse actuelle qui nous mène vers l’escalade. Puisqu’ils insistent aujourd’hui à nous attribuer un ministère d’État, qu’il nous donne alors en échange le portefeuille de l’Énergie, pour que l’on discute », ajoute le proche de Samir Geagea.De même, Fayçal Sayegh, député joumblattiste de Beyrouth, explique à L’OLJ que sa formation ne fait que plaider pour son droit à une représentation gouvernementale en bonne et due forme. « Nous avons remporté les élections et Saad Hariri a accompli son devoir en présentant une formule dont il est convaincu », ajoute M. Sayegh, notant que la convergence actuelle entre son parti et ceux de MM. Hariri et Geagea est « ponctuelle » et « ne vise pas à paver la voie à un affrontement avec Michel Aoun et Gebran Bassil ».

Pour ce qui est des haririens, ils semblent toujours attachés à leur entente politique avec le chef de l’État. Mais ils seraient tout aussi conscients d’un possible retour à la case départ si « le CPL et Gebran Bassil continuent à se montrer têtus. D’autant qu’ils risqueraient de porter atteinte à l’entité du Liban », pour reprendre les termes de Moustapha Allouche, membre du bureau politique du Futur. Interrogé par L’OLJ, il ne cache pas ses craintes quant à une sérieuse crise de système, dans la mesure où « la guerre des prérogatives observée ces derniers jours pourrait pousser certains, notamment les chiites, à demander la révision du système politique actuel », dit-il assurant que « M. Hariri a présenté à Baabda une formule qui lui semble la meilleure. Il ne serait donc pas en mesure d’y apporter d’importantes modifications ».

En dépit de cette convergence tripartite face à M. Bassil et son camp, le CPL ne serait pas prêt à modifier ses prises de position, même si celles-ci ne bénéficient pas de l’appui de ses alliés. À l’heure où la coordination Berry-FL va très bon train, comme le montrent si bien les récentes visites de responsables FL à Aïn el-Tiné, le Hezbollah s’est contenté de s’en prendre hier via l’agence locale al-Markaziya aux partis de MM. Hariri, Joumblatt et Geagea, sans pour autant donner gain de cause de façon expresse au CPL.

Dans les milieux aounistes, on rappelle que « le pays est démocratique ». « Nous ne blâmons donc personne. Mais nous continuerons à mener cette bataille de principe et à plaider pour un critère unifié dans la formation du cabinet », déclare une source CPL à L’OLJ