IMLebanon

Le Hezbollah accentue les pressions « sunnites » sur Hariri

Yara ABI AKL

    A-

Le Hezbollah ne semble pas disposé à faciliter la tâche au Premier ministre désigné Saad Hariri. Bien au contraire. Il s’emploie à accentuer la pression sur lui en vue de le pousser à céder à ses desiderata. C’est cette conclusion que l’on peut tirer des propos tenus hier par le secrétaire général adjoint du parti chiite, le cheikh Naïm Qassem. « Le Premier ministre désigné a accepté nos demandes liées à la représentation du Hezbollah par trois ministres. Il a ensuite œuvré jour et nuit pendant cinq mois pour satisfaire les demandes des protagonistes voulant augmenter leurs quotes-parts ministérielles », a-t-il déclaré lors d’une cérémonie dans une allusion à peine voilée aux Forces libanaises que le parti accusait de bloquer le processus.

Rappelant que son parti a « facilité au maximum la tâche de Saad Hariri », le dignitaire chiite a assuré que « le problème provient du Premier ministre désigné, et c’est à lui de le résoudre en respectant la règle qui veut que chaque partie soit représentée (au sein du cabinet) conformément aux résultats des législatives ». Et d’enchaîner : « Il devrait donc représenter les députés membres de la Rencontre consultative sunnite par un seul ministre. Le problème sera alors résolu. Et nous n’avons rien de plus à proposer. »

Le secrétaire général du courant du Futur, Ahmad Hariri, n’a pas tardé à répondre à ces propos. Dans un communiqué publié hier, M. Hariri a fait porter au Hezbollah la responsabilité du blocage gouvernemental actuel. « Tout le monde sait qu’à la faveur des efforts déployés par le Premier ministre désigné pendant six mois, la mouture gouvernementale était prête depuis deux semaines. Il ne lui manquait que les noms des ministrables du Hezbollah. Celui-ci est donc responsable de cette attente », peut-on lire dans le texte, qui ajoute : « Le problème est chez le Hezbollah. La solution est entre les mains du président du Conseil désigné, conformément à ses prérogatives et aux règles constitutionnelles. »

Forts de l’appui indéfectible du parti chiite, les six députés sunnites prosyriens formant la Rencontre consultative sont, eux, revenus à la charge, insistant sur leur « droit » à prendre part au futur cabinet Hariri par le biais de deux ministres, à raison d’un ministre représentant la Rencontre, et un autre choisi parmi les quatre députés non haririens ne relevant pas de leur groupe, à savoir : Fouad Makhzoumi, Nagib Mikati (qui a exprimé un appui à Saad Hariri hier, se félicitant de sa « patience »), Bilal Abdallah et Oussama Saad.

Dans un communiqué publié à l’issue d’une réunion tenue hier au domicile de Walid Succarié (Baalbeck-Hermel), les six députés sunnites gravitant dans l’orbite du 8 Mars se sont félicités des « prises de position de leurs alliés, soucieux du succès du gouvernement ». « Nous appelons le Premier ministre désigné à revoir ses calculs en prenant en compte le droit de la Rencontre à être représentée, loin de tout échange ou entente », ajoute le communiqué. Une allusion à peine voilée à l’accord conclu récemment entre Saad Hariri et Nagib Mikati (Tripoli), à la faveur duquel ce dernier s’est vu accorder un ministre sunnite. « Notre demande est un droit sur lequel nous ne reviendrons pas, dans la mesure où il est dicté par la logique de la juste représentation et de la diversité dans la formation d’un cabinet d’entente nationale », ajoute le communiqué, soulignant que « cette diversité qu’a reconnue le Premier ministre ne devrait pas être occultée par des compromis axés sur la représentation de composantes, autres que la Rencontre, ne bénéficiant pas du même poids ». Encore une allusion à l’entente Hariri-Mikati.

Quoi qu’il en soit, les milieux de la Maison du Centre semblent peu se soucier de ce forcing. Des sources au sein du bloc parlementaire haririen soulignent ainsi à L’Orient-Le Jour que Saad Hariri (qui s’est entretenu avec le ministre sortant des Finances, Ali Hassan Khalil, conseiller politique du président de la Chambre Nabih Berry) n’entend aucunement intégrer un des sunnites prosyriens à son équipe. À en croire les mêmes sources, la formule de M. Hariri est prête et le Premier ministre n’attend plus que d’y incorporer les ministrables du Hezbollah. Il va sans dire que les proches de la Maison du Centre s’emploient à assurer que le Premier ministre bénéficie du soutien indéfectible du chef de l’État, Michel Aoun, au sujet de la représentation des sunnites du 8 Mars. Un soutien qu’il avait exprimé lors de la rencontre avec les journalistes à l’occasion du second anniversaire de son élection, le 31 octobre dernier. Une façon pour les haririens de répondre implicitement à des propos tenus jeudi par Fayçal Karamé, député de Tripoli, qui fait partie des six parlementaires sunnites engagés dans le bras de fer qui les oppose à M. Hariri. Dans un entretien accordé jeudi à la MTV, M. Karamé a déclaré que lors de l’entretien de Michel Aoun avec les députés dont il fait partie, le président de la République a estimé que la position de Saad Hariri concernant la représentation des sunnites du 8 Mars « n’était pas sage ».

L’initiative Bassil et Taëf

En attendant, le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil devrait poursuivre ses contacts pour tenter de défaire le nœud sunnite. Selon notre chroniqueur politique Philippe Abi-Akl, M. Bassil devrait discuter avec les députés prosyriens des solutions possibles, avant de rencontrer Saad Hariri et le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah. La solution serait axée d’abord sur l’importance d’assurer un climat favorable à un éventuel entretien entre M. Hariri et ses concurrents. En parallèle, M. Bassil œuvre pour convaincre les parlementaires concernés de nommer une personnalité sunnite proche du 8 Mars, mais qui ne serait pas « provocatrice » pour le Premier ministre. Elle relèvera du lot du chef de l’État.

Mais bien au-delà du règlement de la question sunnite, l’initiative Bassil suscite des craintes quant à la pérennité de l’accord de Taëf. Un vieux routier de la politique interrogé par L’OLJ ne mâche pas ses mots : « Nous sommes face à une initiative menée par un pseudo-médiateur. Celle-ci porte atteinte à l’accord de Taëf et aux prérogatives du Premier ministre, dans la mesure où l’on a l’impression que les concertations gouvernementales ne le concernent plus. » Des propos qui ne sont pas sans rappeler le tweet posté il y a quelques jours par le leader du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt, dans lequel il avait estimé que « l’accord de Taëf a pris fin ». Aujourd’hui, M. Joumblatt semble attendre l’issue des contacts de M. Bassil, qu’il a reçu mardi soir à Clemenceau. Mais il n’en reste pas moins que les tractations gouvernementales étaient au menu de son dîner avec Saad Hariri à Beyrouth, hier, en présence de Waël Bou Faour, député joumblattiste de Rachaya.