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Le lien avec les sanctions contre le Hezbollah pointé du doigt

ATTENTAT CONTRE LA BLOM BANK

Sandra NOUJEIM 
Une puissante explosion s’est produite hier près du siège de la Banque du Liban et d’Outre-Mer (Blom Bank), l’une des plus importantes du pays, dans la région de Verdun, à Beyrouth.
« La bombe a été placée devant la façade arrière de la Blom Bank », a déclaré le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, selon qui il était « clair » que la banque était visée. Toute la façade en verre de la banque a été soufflée et des débris recouvraient le sol, deux personnes ont été légèrement blessées et plusieurs voitures endommagées.
L’explosion, qui a eu lieu aux environs de 20h, était celle d’une charge de dix à quinze kilogrammes selon le directeur général des Forces de sécurité intérieure, le général Ibrahim Basbous, fixée sur un mur mitoyen du siège de la banque.
L’attentat comporte plus d’un élément de lien avec l’entrée en vigueur des sanctions bancaires américaines contre le Hezbollah et « la déroute » observée chez ce dernier par des sources bancaires interrogées par L’Orient-Le Jour, à la lumière de rencontres effectuées au cours des deux dernières semaines entre des représentants du parti chiite et du secteur bancaire. Des sanctions que la Blom aurait été la première à mettre en application avec un zèle particulier, selon plusieurs sources.
Encore faut-il noter au préalable l’improbabilité, à première vue, de la piste de l’État islamique : les milieux sécuritaires, qui avaient mis en garde au cours des derniers jours contre le risque d’attentats dans la capitale, avaient évoqué comme cibles potentielles les débits de boissons et les lieux publics largement fréquentés. L’attentat perpétré au niveau de l’intersection Zarif-Verdun qui était quasi déserte à l’heure de l’iftar n’avait pas pour objet de causer des dégâts matériels ni des pertes humaines. Seuls deux cas de blessures bénignes ont été rapportés. La charge aurait été sciemment placée dans une enclave murale pour en limiter l’effet.
Il reste la troisième hypothèse d’une cinquième colonne, qui aurait tiré profit des tensions actuelles pour semer la discorde. Une hypothèse explicitement invoquée par le chef du courant du Futur hier soir, qui semble servir à éviter une polémique directe avec le Hezbollah. Walid Joumblatt, lui, a relancé, dans le même cadre d’idées, la piste d’ « Israël ». Parmi les sources interrogées, nombreuses sont celles qui s’abstiennent d’ailleurs tout cours de se prononcer sur l’événement, aussi bien dans les secteurs politiques que bancaires.
Si un député du bloc parlementaire du Futur qui a préféré gardé l’anonymat s’étonne du « caractère flagrant » de l’acte et de son lien avec le Hezbollah, c’est pour poser deux questions alternatives : « Sommes-nous au point où le Hezbollah peut perpétrer des attentats sans crainte de s’exposer ? Ou bien le véritable auteur de l’acte a-t-il utilisé la polémique entre le Hezbollah et le secteur bancaire pour se couvrir? »
La retenue à l’égard du Hezbollah ne dégage pas toutefois ce dernier du statut de « suspect ». « Le Hezbollah est appelé à coopérer avec l’enquête, pour dissiper tout doute sur la question », estiment des milieux qui relèvent la possibilité qu’un « élément désobéissant ait réagi impulsivement aux sanctions américaines ».
Au cours des derniers jours, une campagne a en effet été menée contre la Banque du Liban par le parti chiite, des médias et des journalistes qui lui sont proches, depuis que son gouverneur, Riad Salamé, a confirmé lors d’une interview télévisée à la chaîne CNBS mercredi dernier la clôture ou « le gel » d’environ cent comptes bancaires liés au Hezbollah, selon l’OFAC (le Bureau de contrôle des avoirs étrangers du Trésor américain) «. Des sources bancaires bien informées confirment par exemple à L’OLJ le gel du compte de l’association al-Mabarrat (fondée par feu l’uléma Mohammad Hussein Fadlallah). Elles expliquent en outre que le gel du compte se fait à défaut de sa clôture, « de nombreux détenteurs de comptes contraints à la clôture s’étant abstenus de retirer leurs fonds pour finaliser la procédure en question ». L’on apprend de ces mêmes sources (qui s’exprimaient avant l’attentat) que la domiciliation des salaires de députés du Hezbollah devait être « interrompue incessamment », les tractations de représentants du parti avec les banques et la BDL d’une part, et Washington de l’autre, pour contrer cette éventualité ayant échoué.
Riad Salamé avait précisé en outre que « de par la loi (…), les banques ont l’obligation de fermer ces comptes immédiatement sans besoin d’autres formalités ». L’on apprenait dans ce contexte que Washington aurait exprimé son insatisfaction de la directive diffusée dans un premier temps par la Banque centrale aux banques libanaises ayant confié à sa commission spéciale d’investigation compétence à examiner, dans un délai d’un mois de leur déposition, les demandes de fermeture des comptes. Mais l’application de l’International Financing Prevention Act of 2015 (Hifpa 2015) telle que souhaitée par Washington aurait placé les banques libanaises dans une situation de responsabilité directe : elles seraient tenues de mener par elles-mêmes une « investigation » sur leurs clients et risqueraient, à défaut d’une coopération efficace, de subir une sanction directe, qui consisterait en une cessation des transferts en dollars, ceux-ci devant se faire, en vertu du système bancaire, par le biais des banques américaines. Les comptes en dollars dans la banque en question seraient comme gelés de fait.
« Les sanctions que risquent d’encourir les banques libanaises sont unilatérales et irrévocables », explique ainsi Hadi el-Assaad, coordinateur de l’Institut pour la finance et la gouvernance à l’ESA.
Il n’y aurait donc plus moyen de contourner les sanctions américaines. Plus encore, le Hezbollah se serait trouvé sur le terrain d’un combat à caractère bancaire et financier qui lui est « peu familier », comme en attestent des sources bancaires, décrivant, à la veille de l’attentat, « une véritable confusion des cadres du parti », qui en sont à s’interroger sur les moyens de faire face à cette bataille de type inhabituel.
Il y a deux semaines, les ministres du Hezbollah n’avaient pas manqué de dire, à l’adresse de leurs collègues en Conseil des ministres, que « les sanctions américaines ne visent pas le Hezbollah, mais l’ensemble du Liban. Ne vous y trompez pas ».
Indépendamment des auteurs de l’acte, ce sont ses effets directs sur le secteur bancaire, et le pays, qui sont prioritaires. « C’est un attentat perpétré contre la livre libanaise, qui encourt le risque (encore loin mais important) d’un effondrement », aux yeux d’un ministre, pour qui « les intérêts bancaires de chaque Libanais sont désormais menacés par une dérogation aux sanctions américaines ». Le député Walid Joumblatt a appelé pour sa part, à travers L’OLJ, à « répondre à l’intimidation par la solidarité du secteur bancaire ». Quant au coordinateur général du 14 Mars, Farès Souhaid, il estime que « c’est chaque ménage libanais qui est désormais pris pour cible » à travers cet attentat, et que la seule réponse serait de nature politique, à savoir l’élection au plus vite d’un président de la République qui renouerait les liens du Liban avec le secteur bancaire international.