IMLebanon

Toute la détresse de l’ex-14 Mars…

Sandra NOUJEIM

Les prochaines législatives font l’objet de plusieurs spéculations, que multiplient d’une part la complexité du nouveau code électoral et de l’autre l’absence d’un mobile électoral comme l’avait été le discours souverainiste en 2009. Parmi les hypothèses formulées en fin de semaine, celle d’un possible élargissement des alliances : au trio mouvement Amal-Parti socialiste progressiste-Marada se rallieraient les Forces libanaises et les Kataëb, pour faire soi-disant front commun au régime, représenté par le président et le Premier ministre. Cette hypothèse ne serait pas plausible pour instant : pour une source FL, sollicitée par L’Orient-Le Jour, « ce scénario, même s’il est ouvertement évoqué par certains, y compris dans notre parti, reste improbable, en grande partie à cause de l’alliance que l’on sait entre Amal et le Hezbollah ». Cela sans compter qu’une telle théorie part d’un présupposé plus qu’incertain, à savoir la primauté des rapports de Michel Aoun avec Saad Hariri sur ses rapports avec le Hezbollah. D’ailleurs, le chef du Rassemblement démocratique aurait déjà concédé deux sièges au Courant patriotique libre, respectivement dans le Chouf et à Aley, selon nos informations.

Une autre supputation voudrait qu’un accord ait été obtenu entre toutes les factions politiques, à commencer par le Hezbollah, pour un report d’un an des législatives. L’objectif en serait de faire élire le nouveau Parlement dans un délai qui l’habilite à élire le prochain président de la République. Un Parlement élu cette année verrait son mandat prendre fin un an avant le mandat présidentiel en cours. Un député proche de la vieille alliance du 14 Mars confirme à L’Orient Le-Jour qu’un tel scénario est évoqué en coulisses, mais reste « improbable ».
L’invraisemblance de ces hypothèses prend son sens à travers des constantes, que les chicaneries actuelles tendent à faire perdre de vue.

Il y a d’abord l’alliance infaillible entre le Hezbollah et Amal, laquelle devrait « se traduire au niveau de toutes les circonscriptions électorales, sans exception ». Les termes sont ceux du secrétaire général adjoint du Hezbollah, le cheikh Naïm Kassem, qui a ainsi affirmé samedi dernier ce qu’aucune partie ne conteste : « Les listes seront communes entre le Hezbollah et Amal dans tout le Liban. La décision est sans appel, et nous espérons que le tableau de nos alliances soit incessamment complété (…). »

L’autre constante, que les flirts de l’ex-14 Mars politique avec les alliés du Hezbollah tendent à faire oublier, est l’unité du 8 Mars. Et le CPL ne peut que difficilement y déroger.
La querelle entre le chef du législatif et le chef de l’État sur le décret d’ancienneté de la promotion 94 ne serait pas le signe de divergences au sein d’un même camp. Si le Hezbollah laisse faire ses deux alliés, c’est que la querelle ne touche pas à ses intérêts stratégiques. Elle pourrait même, au contraire, lui procurer des bénéfices électoraux. La polémique a en effet pris un tournant communautaire : le président affiche sa « force » en abusant de ses prérogatives et le chef du législatif s’érige en gardien de ce qu’il défend comme un « acquis » à sa communauté, à savoir le tiers de blocage – ou sa déclinaison – en l’occurrence l’incontournable ministère des Finances.
Sur leurs terrains électoraux respectifs, les deux hommes ont tout à gagner de leur surenchère communautaire. La victoire de l’un et l’autre étant, in fine, une victoire du Hezbollah.

Un autre atout que la rivalité Aoun-Berry offre au parti chiite est la possibilité de jouer sur l’apparente autonomie du chef du législatif, celle-ci s’étant révélée capable de piéger Saad Hariri.
Selon nos informations, le courant du Futur se trouverait actuellement désorienté, au point de ne pouvoir opter, pour l’instant, pour telle ou telle candidature. L’une des « issues » qui lui seraient proposées consisterait, au lendemain des législatives, à dissocier le nouveau bloc parlementaire aouniste du nouveau bloc du Hezbollah et du reste de ses alliés du 8 Mars, selon des sources bien informées.
Cet artifice servirait à maquiller la large victoire du Hezbollah, par-delà ses cantons, pronostiquée par tous les milieux politiques. Cet artifice entretiendrait l’illusion que Michel Aoun a une entité politique décisionnelle propre, afin de le rendre plus apte à remplir son rôle de couverture chrétienne au Hezbollah.

À l’heure actuelle, l’inconnue reste le positionnement de Saad Hariri : dépassera-t-il son sentiment de « redevance » à l’égard du chef de l’État pour son appui lors de l’épisode de sa démission forcée, en prenant conscience que le président de la République est lui-même otage d’un tel sentiment à l’égard du Hezbollah, qui n’est pas prêt de lui faire oublier que c’est grâce à lui qu’il se trouve à Baabda ? Ou bien se résignera-t-il à la victoire du parti chiite, après avoir pris la décision de se dissocier de la guerre des axes régionaux ?

Le tableau révèle pour l’instant un avantage manifeste au Hezbollah. Même au niveau des discours électoraux. Alors que les vieux slogans du 14 Mars ont peu de crédibilité dans la bouche de ceux qui s’en sont détachés, Naïm Kassem n’a pas manqué de rappeler le slogan des listes de son parti : « Le triptyque armée-peuple-résistance. »

Par ailleurs, le chef du législatif s’étale sur de prétendues tentatives de saboter l’échéance. Aussi est-il revenu à la charge en soupçonnant « deux puissances étrangères » d’y œuvrer quand bien même le secrétaire général du Hezbollah a fait état, lui, d’une volonté générale de tenir les élections. Les mises en garde berryistes pourraient finir par donner à la tenue des législatives dans les délais – et à la victoire éventuelle du Hezbollah – une portée souverainiste, le parti chiite s’imposant ainsi comme le garant du respect des échéances constitutionnelles. Une telle victoire constituerait en tout point un retour à l’époque du gouvernement Mikati, légitimé par la majorité parlementaire multiconfessionnelle acquise au Hezbollah, met en garde un proche du courant du Futur. Sauf qu’à l’époque, note-t-il, « la révolution syrienne était venue interrompre l’offensive du Hezbollah contre le camp rival. Cette fois, rien n’empêchera qu’il nous muselle tous ».