IMLebanon

Gouvernement : Signe de blocage, les religieux s’en mêlent

Yara ABI AKL

Comme à chaque impasse politique, les instances religieuses forment une espèce de recours. Hier, c’était au tour du mufti de la République, le cheikh Abdellatif Deriane, de s’inviter dans le débat quasiment bloqué autour de la formation du prochain gouvernement.
Quelques jours après les tentatives menées par le président de la République, Michel Aoun, et le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, de remettre sur le tapis la menace d’un cabinet de majorité, vite abandonnées cependant par Baabda, le cheikh Deriane a insisté, dans un prêche à Jiyé, sur la nécessité de mettre sur pied « un gouvernement d’entente nationale capable de gérer la prochaine phase, axée sur la relance des institutions étatiques ». Le mufti de la République a même été plus loin en affichant son soutien au Premier ministre désigné, Saad Hariri. « Le chef du gouvernement désigné n’est pas le seul responsable de la lenteur observée au niveau de la formation du cabinet », a-t-il déclaré, avant de poursuivre : « Le Premier ministre œuvre bec et ongles pour accomplir la mission que lui a confiée la majorité parlementaire. » « Cela exige une collaboration et de la modestie de la part des protagonistes qui devraient faire preuve d’un sens des responsabilités nationales pour accélérer la formation du cabinet », a encore dit le cheikh Deriane, avant d’ajouter : « La décision et les choix reviennent au chef de gouvernement désigné qui forme le cabinet, après concertation avec le président de la République et en collaboration avec les protagonistes. »
Il est évident qu’à travers son discours, le cheikh Deriane a surtout adressé un message fort au Courant patriotique libre, qui ne cache pas son mécontentement à l’égard de ce qu’il appelle « les atermoiements de M. Hariri » qui devrait fixer des critères unifiés pour la mise sur pied de son cabinet, comme le disent certains milieux aounistes.
Sauf que dans les milieux proches de Dar el-Fatwa, on ne désire pas aller aussi loin. Une source de cette instance se contente de souligner à L’Orient-Le Jour qu’il est « très normal » que le mufti de la République intervienne dans le débat pour exprimer son appui à Saad Hariri et insister sur l’importance du respect de l’accord de Taëf.
Mais chez les haririens, c’est une autre explication que l’on présente à L’OLJ. On souligne que les propos du cheikh Deriane sont venus rappeler au Premier ministre les limites d’éventuelles concessions qu’il serait tenté de faire au profit du chef du CPL, dans le but de préserver le compromis politique conclu avec ce parti en 2016, et qui a donné le coup d’envoi au sexennat de Michel Aoun. On fait également valoir que M. Hariri n’est aucunement en mesure de « réaliser tous les rêves » du ministre des Affaires étrangères.
Et c’est justement sur base de cette logique qu’un proche de Saad Hariri assure à L’OLJ que le Premier ministre désigné est « convaincu » des demandes formulées par les Forces libanaises et le Parti socialiste progressiste en matière de quotes-parts gouvernementales. « Il nous importe que ces deux formations prennent part au cabinet », déclare le proche du Premier ministre.

Tiers de blocage
Cette volonté est également de mise chez les Forces libanaises. À l’heure où un différend oppose ce parti à celui de Gebran Bassil autour de leur représentation au sein de la future équipe Hariri, le ministre sortant de l’Information, Melhem Riachi (FL), a fait savoir au chef de l’État, lors de leur dernier entretien jeudi à Baabda, que son parti accepte d’obtenir quatre portefeuilles (alors qu’il en demandait cinq), dont un régalien. Selon la chaîne LBCI, M. Riachi aurait été beaucoup plus loin, en « reconnaissant » au président Aoun « son droit » de nommer le vice-président du Conseil, un poste que les FL réclamaient au sein du futur cabinet, et que Michel Aoun n’a pas tardé, lui aussi, à demander, arguant de « la coutume ». Or certains observateurs politiques rappellent que Issam Abou Jamra (qui était proche de M. Aoun) a occupé ce poste dans le cadre du gouvernement Siniora sous le mandat de Michel Sleiman.
Une source ministérielle indique dans ce cadre à L’OLJ que les FL ont fait un compromis axé sur quatre ministres avec un poste régalien, devenu désormais « acquis ». Cette source s’empresse toutefois de faire savoir que si les FL n’obtiennent pas un des deux ministères régaliens réservés aux chrétiens (la Défense ou les Affaires étrangères), elles envisagent de rester en dehors du cabinet, soulignant que, tout comme le Premier ministre, les FL refusent que le tiers de blocage soit accordé à qui que ce soit.
Expliquant cette position, un proche de Meerab explique à L’OLJ que les tractations actuelles portent sur un cabinet qui devrait diriger le pays pendant plus de quatre années. Il est donc inconcevable de former un cabinet déséquilibré que Saad Hariri ne pourra pas diriger comme cela se doit.

Le nœud druze
Pour ce qui est du nœud druze né du différend opposant le leader du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, à son principal rival druze Talal Arslane, chef du Parti démocrate libanais, Moukhtara persiste et signe : il revient au PSP de nommer les trois ministres druzes dans une formule de trente, souligne à L’OLJ Ghazi Aridi, ancien député PSP de Beyrouth, excluant toutes possibilité de concession.
En face, des sources parlementaires CPL ont déclaré à l’agence locale al-Markaziya que le parti tient à ce que M. Arslane intègre le cabinet, dans la mesure où cela refléterait la « victoire » électorale du CPL et de ses alliés dans la circonscription du Chouf-Aley, lors du scrutin de mai. Entre- temps, la guerre des tweets se poursuit entre les deux partis. Si elle ne porte pas sur les tractations gouvernementales, il reste qu’elle ne saurait être dissociée de ce bras de fer.