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Présidentielle : le régime syrien cherche à entrer dans la danse

La situation

Élie FAYAD

Vu à l’aune des développements survenus ces dernières quarante-huit heures dans la région, en particulier en Irak, le dossier de la crise présidentielle libanaise apparaît de plus en plus comme un détail d’importance très relative. De là le risque réel d’une vacance prolongée à Baabda, personne n’étant disposé, à ce stade, à accomplir un forcing pour si peu.

De fait, le déferlement soudain des jihadistes de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL, connu en arabe sous le sigle de « Daech », une organisation affiliée à el-Qaëda) sur l’ensemble des régions sunnites irakiennes, y compris la zone riche en pétrole de Kirkouk-Mossoul, fait entrer le bras de fer en cours pour le contrôle de la région dans une nouvelle phase, donnant à l’affrontement un caractère à la fois plus global et plus crucial.
La carte géopolitique de ce que l’on appelait jadis le Croissant fertile s’en trouve sérieusement bouleversée. Pour mesurer l’ampleur de ce bouleversement, il suffit d’adjoindre les régions conquises par Daech en Irak au territoire que cette organisation contrôle dans le nord-est de la Syrie. On observe ainsi la formation progressive d’un grand ensemble sunnite plus ou moins homogène allant de l’est d’Alep jusqu’aux confins de Bagdad.
Cet ensemble est limité au nord et à l’est par le Kurdistan (syrien et irakien), au sud par le désert et à l’ouest par une bande relativement étroite dont seulement la partie centrale, qui longe la frontière libanaise, est contrôlée par le régime syrien avec le concours du Hezbollah.
Et c’est dans ce contexte explosif que le régime assadiste, qui vient de renouveler son contrat d’autolégitimation, cherche à revenir sur la scène politique libanaise dans le cadre de sa stratégie visant à se présenter, avec l’aide de l’Iran, comme étant l’alternative à Daech.
Bachar el-Assad a donc décidé de réinvestir le jeu politique local par le canal de la présidentielle libanaise. Dans des propos que lui attribuait hier le journal al-Akhbar, le président syrien s’est prononcé en faveur de l’élection du général Michel Aoun à la première magistrature.

Ce faisant, M. Assad a pris les devants par rapport au 8 Mars qui s’est abstenu jusqu’à présent d’officialiser la candidature du chef du CPL. Hier même, le député Sleimane Frangié, qui s’est rendu au domicile du général à Rabieh, a ainsi réitéré son soutien au « candidat chrétien fort », sous-entendu Michel Aoun. Pour le reste, M. Frangié a brandi la menace d’un boycottage du gouvernement si le camp adverse (le 14 Mars) continue à se dérober, à ses yeux, à un consensus sur la présidentielle, laissant entendre que le « candidat fort » serait finalement imposé, de gré ou de force.

Beaucoup d’observateurs, notamment du côté du 14 Mars, notent cependant que la prise de position de Bachar el-Assad en faveur du général Aoun ne peut qu’être dommageable à ce dernier, dans la mesure où elle jette encore un peu plus de discrédit sur la qualité de candidat consensuel qu’il revendique.

 

En tout état de cause, la situation reste pour l’instant au point mort. Une source diplomatique occidentale estime que cet état des choses pourrait se prolonger pendant des semaines, voire des mois, tant que le rapport des forces demeurera inchangé.
Selon cette source, il existe toutefois quatre facteurs susceptibles de modifier la donne et de hâter le déroulement de la présidentielle, avant que la situation régionale se décante : une déstabilisation du pays au plan politique et sécuritaire, une aggravation intolérable de la crise économique, un accord – jugé improbable – entre acteurs libanais ou encore une pression accrue de la part de Bkerké qui pourrait, par exemple, convoquer des assises réunissant les députés maronites, avec distribution de « cartons rouges » aux absentéistes.

On n’en est pas là pour le moment. Tout ce que l’on peut dire, c’est que les tractations vont se poursuivre, notamment la semaine prochaine, à Paris, avec l’entrevue attendue entre le chef du courant du Futur, Saad Hariri, et le leader druze Walid Joumblatt.
Elles se dérouleront, comme ces jours derniers, sur fond d’escalade continue dans les tribulations populistes et démagogiques en matière sociale.