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Tentatives conjointes CPL-Damas de bousculer Nabih Berry

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La manière dont certaines listes se sont formées, notamment face au mouvement Amal dans le Sud ou avec le Parti socialiste progressiste (PSP) dans la Békaa-Ouest-Rachaya, avait fait dire au député Walid Joumblatt qu’il y a des tentatives de circonscrire son influence et celle du président de la Chambre Nabih Berry. Il faisait allusion au Courant patriotique libre (CPL) et au courant du Futur. Mais aussi au fait que, par-delà les tactiques électorales d’emblée légitimes, ces deux courants pavent la voie à un retour des figures pro-Damas, hostiles à MM. Berry et Joumblatt. Le CPL l’assume ouvertement, le courant du Futur semble pécher soit par passivité, soit par complicité avec Gebran Bassil, et indirectement avec Damas, en connaissance de cause.
Dans la Békaa-Ouest-Rachaya, Futur et CPL avaient tenté de former une liste commune avec le PSP (sans toutefois œuvrer à y inclure les Forces libanaises, comme l’avait souhaité Walid Joumblatt). Ils ont ainsi tenté d’imposer au PSP la candidature d’Élie Ferzli au siège grec-orthodoxe, mais en vain. Le CPL a par conséquence fini par se rallier à la liste rivale, chapeautée par Abdel Rahim Mrad et incluant Fayçal Daoud, en endossant la candidature de M. Ferzli. Et le PSP a « payé le prix de son refus » d’inclure Élie Ferzli sur sa liste en se voyant contraint par le courant du Futur à renoncer à la candidature de son député sortant au siège grec-orthodoxe, Antoine Saad, en faveur de Ghassan Skaff. Le choix par le Futur de M. Skaff – inconnu dans sa région – favorise par défaut M. Ferzli.
Dans le Sud III, où une visite électorale de Gebran Bassil dimanche dernier dans le village de Rmeich a fait éclater une nouvelle polémique CPL-Amal, le courant du Futur et le CPL parrainent la principale liste qui rivalise avec celle du tandem Hezbollah-Amal. Le Futur et le CPL ont réussi à se rallier les trois principaux candidats chiites, Moustapha Badreddine, Abbas Charafeddine et Nadim Osseirane, qui avaient envisagé dans un premier temps une alliance avec le Parti communiste. Issus de l’environnement du Hezbollah, auquel ils disent ne pas s’opposer d’ailleurs, ils sont à même de servir de base à une liste Futur-CPL sans brusquer le Hezbollah, l’objectif étant, notamment pour Gebran Bassil, de parasiter Nabih Berry là où il le peut.
Le chef du CPL et le président de la République, secondés par l’homme d’affaires Imad el-Khatib (candidat au siège sunnite, soutenu par le courant du Futur), seraient même intervenus directement auprès de ces candidats chiites. Si bien que certains habitants du Sud ont fini par qualifier la liste, sur le ton de l’ironie, de « liste de Gebran Bassil ». De quoi révéler un parasitage réussi, bien que limité, de ce dernier au détriment de Nabih Berry, accentué par une tournée du chef du CPL dimanche dernier à Nabatiyé et Bint Jbeil. Le discours que M. Bassil a tenu à Rmeich (village chrétien de Bint Jbeil) s’inspire de sa rhétorique sur la juste représentativité des chrétiens qui alimente ses querelles chroniques avec Amal, notamment au sein du cabinet. La riposte du mouvement Amal s’est elle aussi manifestée hier et avant-hier, par la voix de députés berryistes, reprenant le discours de « l’unité nationale face à la surenchère communautaire ». « Des parvenus ne peuvent, en une fraction de seconde, changer l’histoire de Rmeich et des villages de l’entente nationale », a par exemple déclaré hier le député amaliste Ayoub Hmayed.
Mais en plus de servir d’acte de présence au CPL, cautionné par le courant du Futur, leur liste est aussi celle de Talal Arslane. Et c’est accompagné de ce dernier que Saad Hariri a effectué sa tournée dans le Sud III la semaine dernière.

La carte Sayyed
De la Békaa-Ouest au Sud, le régime syrien semble adresser un double message, par le biais du courant du Futur et du CPL, à Walid Joumblatt et Nabih Berry. Le premier, pour sa constance dans la dénonciation des exactions du régime syrien contre son peuple, et le second pour la tiédeur dont il a fait montre à l’égard de Damas depuis le début du conflit syrien en 2011 : préférant prendre ses distances par rapport à ce conflit, il ne s’est plus rendu à Damas ni n’a accepté d’envoyer des éléments d’Amal en renfort au Hezbollah sur le terrain syrien. La candidature de l’ancien directeur de la Sûreté générale Jamil Sayyed à Baalbeck-Hermel est l’essence de ce « message de Damas » à l’adresse de Nabih Berry, confie une source favorable à ce dernier, qui a requis l’anonymat. C’est en tout cas M. Sayyed, rival de Nabih Berry dans la perspective de la présidence de la Chambre, qui serait le meneur du groupe pro-Damas, selon des acteurs de terrain pourtant hostiles au chef du mouvement Amal. Ces derniers ajoutent entendre à demi-voix, preuve de la crainte qu’inspire ce favori de Damas, qu’il aurait même tiré les ficelles de candidatures dirigées contre Amal dans plus d’un caza du Liban-Sud.
Comment expliquer cette résurgence du régime syrien sur la scène libanaise ? Et où se place le Hezbollah ? Le mandat actuel pose une nouvelle équation au sein du pouvoir, celle d’une alliance tripartite Hezbollah-Futur-CPL, dont sont écartés Amal, le PSP, et dans une certaine mesure les Marada. Cette lecture critique de la thèse d’un recentrage de Michel Aoun par M. Hariri est confortée par la complicité électorale observée entre le Futur, le CPL et Damas. Bachar el-Assad est devenu un suppôt de l’Iran en Syrie, « l’équivalent de ce qu’avaient été les présidents libanais fantoches pour la Syrie », selon un opposant au Hezbollah. Si ses desiderata se font désormais entendre au Liban, c’est que le parti chiite en a décidé ainsi. Il y aurait, autrement dit, un retour à « l’unité de situation » entre le Liban et la Syrie d’avant 2005, mais cette fois sous le règne de Téhéran et sous son impulsion.
Si Amal et le PSP gênent Damas, cela ne vaut pas forcément pour le Hezbollah, qui a la latitude d’osciller entre ce camp et celui du Futur et du CPL. Tantôt le secrétaire général du parti chiite, Hassan Nasrallah, déclare qu’une victoire des « amis de la Syrie » serait une victoire pour le Hezbollah, comme il l’a fait dimanche dernier à Machghara, tantôt il met en valeur sa reconnaissance pour Nabih Berry, comme il l’avait fait il y a une semaine à Nabatiyé. Du reste, même si une mouvance hostile à M. Berry prend une forme inédite chez les alliés du Hezbollah, « personne ne s’aventurera », pour l’heure, dans un jeu de destitution de Nabih Berry, selon des sources proches de ce dernier. Des acteurs indépendants du Sud concordent à dire qu’une telle aventure aurait pour revers de provoquer un grave clash entre la base berryiste et le Hezbollah, auquel ce dernier n’a aucun intérêt.
La visite qu’a rendue hier le ministre Salim Jreissati au domicile de Nabih Berry à Msayleh, suivie par une visite de Daoud Sayegh, conseiller de Saad Hariri, sert justement à rééquilibrer la campagne menée de pair contre lui par Damas et le CPL.