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Une énigme nommée Chamel Roukoz…

Décryptage

 

De Baskinta à Ghiné, jusqu’à Zahlé et avant cela à Jbeil, le général Chamel Roukoz poursuit loin des médias ses tournées dans les régions à la rencontre des Libanais, toutes tendances et confessions confondues. À chacun de ses rendez- vous, l’accueil populaire est délirant, les habitants se donnant le mot pour se rendre sur les lieux visités par Roukoz sans invitation ni campagne préalables. Selon un des témoins de la visite de Roukoz à Zahlé, il s’agissait au départ d’une cérémonie en hommage au général à la retraite, mais ce dernier a souhaité qu’à l’occasion de la fête de l’Armée, d’autres officiers retraités originaires de la Békaa soient honorés en même temps que lui. La cérémonie était prévue au complexe Rihab et 500 chaises avaient été installées à cet effet, mais l’affluence était telle qu’il a fallu rajouter des sièges ou laisser les gens debout, sans parler de ceux qui se pressaient sur les balcons surplombant la place, souhaitant apercevoir, même de loin, le général Roukoz perçu comme un héros. Celui-ci a d’ailleurs mis une demi-heure pour atteindre la tribune, tant les gens se pressaient autour de lui, criant en toute simplicité et spontanéité : « Que saint Charbel vous protège ! ». Le général Roukoz a certes salué les notables installés au premier rang, dont les dignitaires religieux appartenant à toutes les confessions et religions, ainsi que les représentants des partis politiques, mais c’est surtout aux citoyens anonymes qu’il s’est adressé dans un discours où prédominaient le sentiment national et la communauté de sort entre tous les Libanais.

À Jbeil, Zahlé, Baskinta ou Ghiné, inutile de chercher dans les propos de Chamel Roukoz toute allusion aux divisions internes au sein du CPL ou toute critique à l’égard du chef de ce parti, le ministre Gebran Bassil. Bien qu’il n’ait pas encore exposé son projet ni ce qu’il compte faire, le général Roukoz donne de plus en plus d’indications sur sa vision libanaise. Il ne cesse ainsi de rappeler qu’il n’est pas membre du CPL, et il ne se considère pas comme une alternative au sein de ce parti, et encore moins « un mur des lamentations ». Son idée du Liban est celle « d’un pays destin » qui a besoin de tous ses fils et de toutes les composantes de son tissu social pour être à la hauteur des espoirs placés en lui et donner au monde ce modèle si particulier dont il a de plus en plus besoin. À ses yeux, le Liban ne peut pas être perçu comme un pays comme les autres, où l’on vit et l’on meurt parce que l’on y est né. Le Liban est avant tout une idée et un projet auquel il faut croire et dans lequel il faut s’investir pour qu’il puisse aboutir. C’est ce qu’il a essayé de faire tout au long de sa carrière militaire et c’est parce qu’il croyait dans ce pays qu’il a pu relever tous les défis et prendre tous les risques physiques et autres, au point de se construire, bataille après bataille, cette image de héros. Cette image est sans doute un peu lourde à porter dans la vie de tous les jours, loin de l’uniforme de l’armée. Roukoz est conscient de cette responsabilité et c’est pourquoi depuis bientôt un an qu’il a été « promu au rang de citoyen », comme il l’a dit lui-même dans son premier discours de personnalité civile, il a évité tous les pièges qui auraient voulu l’entraîner dans les zizanies politiques et dans des alignements traditionnels, ou encore lui tailler des uniformes qui ne lui conviennent pas et dans lesquels il se sent à l’étroit.
En quelques mois, il a réussi à se construire un réseau de relations qui ne tient pas compte des clivages politiques traditionnels. Il a ainsi rencontré le président de la Chambre bien avant la visite du ministre Bassil puis celle du général Michel Aoun à Aïn el-Tiné. Il a aussi rendu visite au chef du PSP Walid Joumblatt et il entretient des relations cordiales avec le chef du courant du Futur Saad Hariri. Ils se sont rendus ensemble à un dîner, ce qui avait soulevé de nombreuses questions dans les médias. À Zahlé, il a aussi tenu à se rendre chez Myriam Skaff, dans une visite qui a pu surprendre la base aouniste de la ville. Mais Chamel Roukoz ne trouve rien de choquant dans toutes ses démarches. D’abord, il considère qu’il est un homme libre qui suit sa propre idée du Liban, dans laquelle il y a de la place pour tout le monde. Ensuite, il donne l’impression d’avoir toujours une manche d’avance sur les autres. Là où certains sont encore dans la bataille municipale, lui scrute déjà les élections législatives, et là où certains voient les petits intérêts sectaires, lui a un œil sur le projet national. À ceux qui se posent des questions sur sa démarche, il répond laconiquement : « Je veux détruire les barricades entre les Libanais. » Au cours de sa visite à Jbeil, un journaliste lui a demandé avec quel courant il se tient, à l’intérieur du CPL, et Roukoz a répondu : « Pour moi, il n’y a qu’un CPL, celui présidé par Gebran Bassil. S’il y a des conflits à l’intérieur de ce parti, ils doivent être réglés selon les structures démocratiques internes prévues à cet effet. Personnellement, je ne suis pas membre de ce parti. » Ce n’est donc pas lui qui donnera une matière sulfureuse aux médias, mais dans le paysage politique actuel, il reste une énigme.