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Une réconciliation qui va au-delà du dossier présidentiel

Décryptage

 

« Là où vous passez, vous provoquez des tempêtes. » C’est en ces termes que le patriarche maronite le cardinal Béchara Raï a accueilli le chef du bloc du Changement et de la Réforme, Michel Aoun, lorsqu’il lui a rendu visite pour l’informer des détails de l’accord avec le leader des Forces libanaises, Samir Geagea. Il s’agissait, selon les sources proches de Bkerké, d’un compliment adressé par le chef de l’Église maronite au général Aoun, qui, avec le leader des FL, avait réalisé un des souhaits du patriarche en tournant la page du passé. Les mêmes sources précisent que le patriarche a béni cette démarche, destinée à renforcer les chrétiens en les unissant, d’autant qu’il considère cette unité comme prioritaire pour permettre aux chrétiens de retrouver leur rôle sur la scène interne. En réalité, le patriarche maronite a donné le ton, car, en général, dans les milieux chrétiens, religieux et laïcs, l’annonce de la réconciliation entre le CPL et les FL a été accueillie avec un grand soulagement.

Sur le plan politique, la situation est quelque peu différente et l’annonce officielle de l’appui du chef des FL à la candidature de Michel Aoun à la présidence soulève beaucoup de questions et sème la confusion chez de nombreux protagonistes, dans les deux camps traditionnels, le 14 et le 8 Mars. Si la plupart des formations politiques préfèrent garder officiellement un silence prudent, en attendant que la situation générale se clarifie, dans les bureaux et les salons privés, les discussions vont bon train. Pourtant, selon des sources proches des deux formations, aussi bien le CPL que les Forces libanaises avaient plus ou moins préparé le terrain, avec, d’une part, les Marada, et, d’autre part, le parti Kataëb. De même, le CPL avait informé le Hezbollah et le président de la Chambre de ses négociations avec les Forces libanaises, mais, en réalité, jusqu’à la fin, beaucoup avaient des doutes sur le sérieux des intentions de Samir Geagea. Seuls Ibrahim Kanaan et Melhem Riachi affichaient une grande sérénité, ayant suivi, sinon initié, les différentes étapes du parcours qui a commencé il y a un an et demi avant d’être couronné le lundi 18 janvier par la cérémonie de Maarab.

Les raisons qui ont poussé Geagea à procéder à cette démarche ont été expliquées et analysées en long et en large, mais ce qui compte aujourd’hui, c’est que, selon les deux formations, le chef des FL a « franchi le Rubicon ». Autrement dit, il ne s’agirait pas d’une manœuvre, comme se plaisent à le dire les mécontents, qui viserait à porter un coup fatal à l’alliance du 8 Mars et du CPL, mais d’un chemin, sans retour en arrière, vers la réconciliation. Aussi bien pour le CPL que pour les FL, cette réconciliation est plus importante que le dossier présidentiel et elle ouvre la voie à une coopération ultérieure plus étroite, dans plusieurs domaines, notamment dans les élections législatives et municipales, et dans les nominations administratives. Cette réconciliation s’inscrit donc dans une stratégie visant à renforcer les chrétiens au Liban, après les années de déchirements et de luttes, pour leur permettre de mieux remplir leur rôle de partenaire au sein de la nation. Selon le CPL et les FL, les autres formations à caractère chrétien sont donc invitées à se joindre à ce courant qui devrait s’amplifier.

Mais, pour l’instant, les différentes parties politiques ne voient dans cette réconciliation que son incidence sur le dossier présidentiel. Les Kataëb préfèrent rester en retrait et annoncent qu’ils ne voteront pas pour un candidat ayant adopté « le programme du 8 Mars », alors que les milieux des Marada affirment que Sleiman Frangié est toujours candidat à la présidence, d’autant qu’il bénéficie encore de l’appui du chef du courant du Futur Saad Hariri. Des sources proches du 8 Mars estiment, dans ce contexte, qu’il y a peu de chances que l’élection présidentielle se déroule le 8 février, selon la date fixée par le président de la Chambre. D’abord, il faut que les parties chrétiennes et le courant du Futur, qui se considèrent lésés par le rapprochement entre le CPL et les FL, absorbent le choc et soient convaincus du sérieux de la démarche. Ensuite, il faut aussi entreprendre une série de contacts avec les autres parties libanaises, notamment le leader druze Walid Joumblatt et le président de la Chambre Nabih Berry. Après un premier contact, Joumblatt s’est montré plutôt positif, revenant sur son appui à Frangié et s’accrochant à la candidature du député Henri Hélou.

Mais il y a encore du chemin à faire pour le convaincre d’appuyer la candidature du général Aoun, même s’il l’a qualifiée dans un communiqué publié jeudi « de conforme aux critères adoptés lors de la réunion de dialogue national ». Avec Berry, la situation est encore plus complexe. La réunion entre le président de la Chambre et les ministres Bassil et Bou Saab s’est terminée par la décision de Berry d’être le dernier à se prononcer. Berry a en effet insisté sur la nécessité de convaincre le courant du Futur de la candidature de Aoun, car, selon lui, on ne peut pas tenir une séance d’élection présidentielle sans cette composante essentielle du pays. Le président de la Chambre a ainsi mis le doigt sur le véritable obstacle qui entrave l’élection du général Aoun, à savoir la position de la formation la plus importante au sein de la communauté sunnite. La dépasser, c’est mettre en cause le principe de la coexistence des communautés sur lequel est basé le Liban et prendre le risque de radicaliser la rue sunnite…