IMLebanon

Derrière les dissensions internes, les spéculations sur le sort du régime syrien

 

DÉCRYPTAGE

 

Quel est aujourd’hui le point commun entre les médias occidentaux et ceux liés de près ou de loin aux pays du Golfe ?

Ils annoncent tous la chute imminente du régime syrien. Ces médias se basent essentiellement sur les derniers revers militaires essuyés par les forces du régime de Bachar el-Assad à Idleb, Jisr el-Choughour et Palmyre pour prédire un changement stratégique rapide dans l’équation militaire et politique en Syrie. Même le nouveau ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubayr a, au cours d’une conférence de presse conjointe avec son homologue égyptien, clairement parlé de l’après-Assad en Syrie, sans même accepter d’évoquer une autre possibilité. Les diplomates occidentaux relaient à leur tour ce scénario, parlant d’une « atmosphère de fin de règne » à Damas et de la « grande peur » des Syriens résidant dans les zones contrôlées par le régime syrien qui se réduisent, toujours selon eux, comme une peau de chagrin. Les mieux informés affirment aussi qu’en réalité, après quatre ans de combats féroces, l’armée de Bachar el-Assad est fatiguée, d’autant que les unités alaouites sont pratiquement les seules à se battre et qu’en fin de compte, de plus en plus de alaouites se demandent pourquoi ils doivent envoyer leurs enfants mourir à Idleb, Deraa, Alep ou Ghouta. Bien entendu, diplomates et médias, tous sont sûrs de leurs informations et convaincus que l’heure de « leur » vérité approche en Syrie. Ce qui devrait d’ailleurs modifier le tableau dans l’ensemble de la région. Selon ces milieux, le régime syrien ne contrôle plus ses frontières avec l’Irak, avec la Turquie ni même avec la Jordanie. Il n’a donc plus qu’une frontière « amicale » ou « neutre », celle avec le Liban. D’où l’importance aujourd’hui des affrontements qui se déroulent dans le jurd du Qalamoun. Les milieux qui prédisent une chute imminente du régime syrien minimisent les percées enregistrées par l’armée syrienne et le Hezbollah dans la région du jurd du Qalamoun, affirmant que de toute façon, il s’agit de vastes espaces montagneux et déserts qu’aucune force ne défendait vraiment, alors que le Hezbollah serait en train d’amplifier l’importance des collines prises pour cacher les revers sur les autres fronts en Syrie…
Dans le camp adverse, le scénario est quelque peu différent. Si on reconnaît les revers subis ces derniers temps dans les provinces du Nord et de l’Est, on ajoute toutefois qu’il s’agit d’une guerre où on perd parfois certaines positions pour en conquérir d’autres. Dans les milieux proches de l’axe dit de la résistance, on précise ainsi qu’en août 2012, après l’explosion du siège des services de renseignements à Damas (où plusieurs responsables, dont Assef Chawkat, avaient trouvé la mort), on avait aussi annoncé la chute imminente du régime, qui n’avait pas alors encore conquis Homs et les provinces centrales du pays, ni même Qoussair (2013) et le Qalamoun (2014). Sa situation était donc beaucoup plus fragile et il a quand même tenu bon, tout comme, quelques mois plus tard, on avait annoncé sa chute après l’offensive menée par les forces de l’opposition à la Ghouta de Damas et à Deraa. Pour ces milieux, il s’agit donc d’étapes dans une guerre qui n’est pas près de se terminer et qui a montré qu’elle a un caractère stratégique qui concerne l’Iran, la Russie et d’autres, face aux pays du Golfe et à leurs alliés occidentaux.
Quelle que soit la version qui finira par l’emporter, il est clair que, dans un contexte aussi tendu et explosif, la bataille du jurd du Qalamoun revêt une importance cruciale pour le Liban et cristallise désormais tous les antagonismes. En « libérant », comme le réclament le 8 Mars et ses alliés, le jurd du Qalamoun des combattants de l’opposition syrienne, l’armée libanaise serait-elle en train de donner un coup de pouce même involontaire aux forces du régime syrien ? C’est la grande question que nul ne formule clairement, mais qui hante les esprits du 14 Mars et les empêche de donner leur aval à la bataille. Pourtant, il s’agit bel et bien d’un territoire libanais (450 km2) montagneux et difficile d’accès investi par les combattants d’al-Nosra et de Daech où, de plus, sont installés des camps de réfugiés syriens. Face aux hésitations du 14 Mars, le Hezbollah et le général Michel Aoun se font très pressants. Le premier a déclaré par la voix de son secrétaire général que si l’État n’assume pas ses responsabilités, d’autres forces sont prêtes à défendre ce territoire alors que le général Aoun a déclaré hier que le devoir de l’armée libanaise est de protéger le territoire libanais, ajoutant qu’une armée qui n’avance pas sur le terrain est en train de perdre…
Au-delà des dossiers en apparence purement internes sur le fonctionnement du gouvernement et les nominations sécuritaires, c’est une question de fond qui se pose aux deux camps adverses sous couvert de protéger le Liban : les uns veulent accélérer la chute du régime syrien et les autres veulent au contraire l’empêcher. C’est exactement le même conflit qui dure depuis quatre ans, et qui empoisonne la vie politique et sécuritaire au Liban. Officiellement, le Hezbollah et ses alliés affirment vouloir sécuriser cette région pour empêcher les groupes takfiristes de s’infiltrer au Liban, alors que le 14 Mars considère que ces groupes ne sont pas la priorité, puisque c’est le Hezbollah qui serait en train de les provoquer. Face à cette division qui dépasse les frontières du Liban pour s’inscrire dans une vision et des axes stratégiques opposés, que peut faire l’armée, soumise aux décisions d’un Conseil des ministres, affaibli par ses dissensions internes ? Consolider ses positions, fournir un service minimal… et attendre le retour du Premier ministre de son voyage en Arabie saoudite, où aussi bien la bataille du jurd de Ersal que les nominations sécuritaires devraient être évoquées.