IMLebanon

Sauver la Syrie ?

« Dans dix ans, je veux avoir été capable de sauver la Syrie (…). La Syrie ira bien et moi je serai celui qui a sauvé son pays. »
La tourmente dans laquelle est plongée la Syrie n’entame décidément en rien les envies de projection de Bachar el-Assad. Lors d’une interview accordée à El Pais dans une résidence ultrasécurisée de Damas et publiée samedi, le président syrien se rêve en sauveur, à tendance démocrate, de la Syrie. Celui qui est président depuis 2000, élu à trois reprises avec entre 88 et 99 % des suffrages, assure en outre : Dans dix ans « si le peuple syrien veut que je sois au pouvoir, j’y serai, et s’il ne le veut pas je n’y serai pas ».
Aujourd’hui, celui qui a contribué au démembrement de la Syrie, en refermant la fenêtre du « printemps de Damas » qu’il avait entrouverte, en échouant à réformer, en laissant plusieurs franges de la population, au premier chef la jeunesse, se fracasser sur ses échecs politiques et économiques, en réprimant dans le sang tout appel à une évolution du pays, cet homme veut être celui qui aura sauvé la Syrie.
Quand un dixième de la population a été tué ou blessé en raison de la guerre, quand au moins 260 000 personnes dont plus de 76 000 civils ont été tués depuis 2011, quand l’espérance de vie passe de 70 ans en 2010 à 55 ans en 2015, de quelle Syrie parle-t-on ?
Quand 5 millions de ressortissants ont fui leur pays, quand des médecins, des enseignants, des ingénieurs syriens croupissent dans la boue d’un camp en Turquie ou à Calais, quand 13 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population, ont été déplacées par la guerre, de quel pays parle Assad ?
Quand des Syriens meurent de faim dans des villes assiégées, que 2,3 millions de logements au moins ont été détruits, que plus de deux millions d’enfants ont été déscolarisés et tant d’autres le sont mal, qu’une école sur quatre a été détruite par les affrontements, à quelle Syrie fait-on référence ?
Sans parler de l’industrie à plat, des infrastructures largement détruites, et du fait que quatre cinquième de la population, déchirée et divisée par la violence, vit dans la pauvreté ou la misère.
Si Bachar el-Assad veut vraiment sauver la Syrie, il devrait commencer par cesser d’envoyer des barils d’explosifs sur des civils. Respecter cette trêve que l’émissaire onusien Staffan de Mistura tente envers et contre tout de mettre en œuvre. Laisser, réellement, l’aide humanitaire arriver aux populations assiégées. Envoyer une délégation à Genève discuter vraiment, c’est-à-dire une délégation prête à faire des compromis, avec une opposition qui, de son côté, serait bien inspirée, pour une fois, de resserrer les rangs. Placer l’intérêt de la nation au-dessus des siens, de ceux de son clan et de sa communauté.
Être un grand homme en somme, et pas un rescapé trônant sur des ruines et des cadavres. Un homme de la trempe de ceux définis en ces termes par Régis Debray dans les colonnes du Monde en 2013 :
« Le grand homme est un homme ordinaire qui fait des choses extraordinaires. Sa grandeur n’est pas affaire de généalogie. Elle est individuelle. Le grand homme n’est pas fait pour humilier, pour assujettir, mais pour admirer. »