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Une séance « fourre-tout » pour enterrer le gouvernement 

Jeanine JALKH | OLJ

Réuni pour la dernière fois avant de se transformer en gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes, dès aujourd’hui, l’exécutif a réussi à prendre une série de décisions relatives à de nombreux dossiers en suspens, avec à leur tête celui de l’électricité et de la grille des salaires pour les fonctionnaires. Des décisions qui ont quasiment poussé l’ensemble des partis à crier victoire à tour de rôle, et à chercher à en exploiter le crédit en amont de la formation du prochain cabinet.
Comme prévu, c’est le dossier de l’électricité, maintes fois reporté à cause de l’opposition plurielle qu’il avait suscitée, qui a fait l’objet des commentaires les plus déroutants à l’issue de la réunion, notamment après la décision de mettre un terme à l’appel d’offres actuel pour la production de 850 mégawatts (MW) de courant en vue de lancer une nouvelle procédure, avec un cahier des charges modifié. À la différence près que cette fois-ci, le rôle de la Direction des adjudications (DDA) sera réhabilité, ainsi que les remarques qu’elle avait émises sur ce dossier.
Également parmi les décisions-clés prises concernant ce secteur, une éventuelle prolongation de trois ans du contrat passé avec la société turque Karadeniz (à laquelle l’État libanais loue deux navires-centrales) qui serait toutefois conditionnée par les négociations menées par le ministre de l’Énergie, César Abi Khalil, à ce que Karadeniz baisse ses tarifs actuels (fixés à 4,95 cents le mégawatt pour la période de trois ans). À défaut, la prorogation serait pour un an seulement au prix de 5,85 cents. Elle inclurait la possibilité pour l’État libanais de casser son contrat avec Karadeniz sans pénalité financière.
L’exécutif a également approuvé la modification du contrat établi avec la société en charge de la construction de la centrale électrique de Deir Ammar, afin d’en faire un contrat BOT (Build-Operate-Transfer, lire page 5).
Sitôt ces décisions annoncées, aussi bien les ministres du Courant patriotique libre (CPL) que ceux des Forces libanaises (FL) ont crié victoire à tour de rôle, alors que le ministre Marwan Hamadé a exprimé son rejet de la proposition, ainsi que le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, qui a refusé de se prononcer tant qu’il n’a pas pris connaissance de la teneur du nouveau cahier des charges. « Nous avions persisté dans notre refus de cette transaction et tout ce qui était manigancé autour. Nous avons l’honneur d’avoir voté contre », a-t-il déclaré à l’issue de la réunion. Le ministre Amal s’est dit par ailleurs « victorieux » concernant la décision relative à la construction de la centrale de Deir Ammar qui, selon lui, va permettre à l’État de « faire des économies de plusieurs millions de dollars ».
Le chef du CPL Gebran Bassil s’est lui aussi félicité des décisions du gouvernement. « Les élections sont terminées et les surenchères se sont envolées… Comme je vous l’avais dit, ils ont opté pour les navires, Deir Ammar et le gaz après les élections », a-t-il écrit sur son compte Twitter, alors que le ministre de la même formation, César Abi Khalil, s’était également félicité d’avoir eu gain de cause.
« Lors de ces deux dernières séances, le Conseil des ministres a approuvé tout ce que nous réclamions depuis le début sur le dossier de l’électricité, car c’est cela, la solution… Ah, s’ils n’avaient pas parlé ! » a-t-il ajouté, en référence aux critiques formulées par certaines formations politiques sur ce dossier.
Quant aux FL, qui contestaient, aux côtés d’Amal, des Marada et du Parti socialiste progressiste, le contournement de la DDA dans l’affaire des navires-centrales, ils se sont dit à leur tour « satisfaits » que leurs revendications en la matière aient été prises en compte et que le principe de la concurrence ait été réintroduit. « Le cahier des charges a été adapté de sorte à permettre plusieurs types de solutions afin d’éviter de réduire l’issue aux seuls navires-centrales », a affirmé le ministre de la Santé, Ghassan Hasbani. En réponse aux remarques formulées par certains ministres qui ont évoqué « une flexibilité inhabituelle » de la part des FL au sujet du dossier de l’électricité lors de cette réunion, un responsable de la formation chrétienne a balayé ces accusations, estimant que les décisions prises « s’inscrivent dans la même logique défendue depuis des mois par les FL ». « Contrairement à ceux qui avaient fait obstruction à ce dossier dans le seul but d’entraver le processus (allusion faite à Amal ), les ministres FL se sont opposés en présentant des solutions concrètes qui puissent bénéficier au consommateur, assurer la concurrence et réduire la facture à payer par le Trésor public », a-t-il dit.

La grille des salaires
Lors de cette séance marathon qualifiée de « pressoir » par l’un des ministres présents, une série de nominations « parachutées en dernière minute », comme l’ont fait remarquer des sources concordantes, a été adoptée. « Un quart d’heure avant la fin de la réunion, les noms des personnes proposées aux différents postes ont commencé à fuser l’un après l’autre. Aucun des noms, qui n’étaient pas familiers à plusieurs d’entre nous, n’avait été rédigé par écrit », confie une source ministérielle, qui qualifie ces nominations de dernière minute de « bazar, même si ces affectations ne concernaient pas des postes-clés ou sensibles ».
Le gouvernement a notamment reconduit pour quatre ans le directeur général de l’Établissement public de l’habitat (EPH), Rony Lahoud, à la tête de cette institution. Le général de brigade Malek Chamas a pour sa part été nommé au sein du Conseil de défense. Il a également nommé les douze membres de la Commission nationale pour les droits de l’homme (Khalil Abou Rjeily, Rana Nasser Jamal, Bilal Sablouh, Fadl Daher, Ali Youssef, Bassam Kantar, Raymond Medlej, Josiane Maroun Madi, Fady Roumanos Gerges et Rida Ramez Azar). Le Conseil a enfin nommé dix ambassadeurs non résidents (Hassan Saleh, Sami Haddad, Milia Jabbour, Hadi Jaber, Nada Akl, Rabih Narach, Ali Halabi, Kabalan Frangié, Fadi Zein et Giscard Khoury).
Le gouvernement a en outre approuvé l’octroi de la grille des salaires aux employés des hôpitaux gouvernementaux qui observaient des grèves et des sit-in depuis plusieurs semaines pour obtenir gain de cause.
Lors des débats, le chef de l’État, Michel Aoun, est intervenu pour faire remarquer l’ampleur prise par la corruption au sein de l’administration de l’État et la couverture dont bénéficient les personnes corrompues, y compris au sein des partis. Le président a assuré en substance que cette situation ne saurait se poursuivre à l’avenir et qu’il s’attellera à y mettre fin, une promesse qu’il s’engage à faire aux Libanais. « Il ne suffit pas que les responsables politiques répètent à l’envi leur rejet de la corruption, ils doivent effectivement œuvrer sérieusement à lutter contre ce phénomène », a-t-il dit sur un ton qualifié de « ferme » par une source proche du Conseil des ministres.